Une personne sur dix prend un médicament contre l’hypertension, principalement pour éviter un infarctus. Le marché est immense: en 1997, rien qu’en Suisse, il s’est vendu pour 708 millions de francs de médicaments pour des problèmes cardio-vasculaires.
Plus impressionnant encore: 25% de ce total (soit près de 177 millions de francs) ne concerne qu’un seul type de médicaments: l’inhibiteur ECA (enzyme de conversion de l’angiotensine). De 1992 à 1997, son chiffre d’affaires a augmenté de 113%, tandis que les ventes des médicaments traditionnels pour faire baisser la pression (diurétiques et béta-bloquants) perdaient tranquillement, mais inexorablement, du terrain.
Il n’y aurait rien à redire, si ce n’est que ce «nouveau» produit est nettement plus coûteux que les médicaments traditionnels: 718,10 fr. pour une thérapie avec l’inhibiteur ECA Reniten, contre respectivement 158,70 fr. (le double en cas de dosage élevé) avec le béta-bloquant Tenormin et 128,10 fr. (idem) avec le diurétique Lasix. Sur cinq ans, cela représente une différence de 5900 fr. entre ce premier et ce dernier!
Cette énorme différence se justifie dans certains cas, par exemple pour les diabétiques ou les personnes souffrant d’une insuffisance cardiaque, où l’inhibiteur ECA a démontré sa supériorité par rapport à ses concurrents. Mais le succès de ce produit est aussi dû à une tendance générale des médecins à préférer les médicaments les plus récents alors que les anciens font souvent tout aussi bien l’affaire. Or, tel est aussi le cas avec le Reniten, affirme Etzel Gysling, le médecin et éditeur du magazine spécialisé Pharma-Kritik.
Une constatation qui ne choque pas outre mesure Max Giger, membre du comité central de la Fédération des médecins suisses et de
la Commission fédérale des médicaments, qui estime, lui aussi, que «de tels taux de progression démontrent que l’industrie pharmaceutique exerce, avec succès, une certaine pression sur l’ensemble des médecins». La FMH a d’ailleurs l’intention d’élaborer des lignes directrices pour l’emploi de traitements meilleur marché pour les maladies les plus fréquentes. Même si Max Giger doute que cela puisse mettre un terme à la spirale des prix de
la santé.
D’autres mesures, bêtes comme chou et nettement meilleur marché, existent et suffisent parfois. Manger davantage de fruits et de légumes, perdre les kilos superflus, faire plus d’exercice et limiter sa consommation d’alcool permettent de réduire les risques cardio-vasculaires de moitié. Contre 30% seulement avec des médicaments, comme le démontre la première étude réalisée sur le plan européen.
Mais l’industrie pharmaceutique craint moins ce type de conscientisation que l’arrivée des premiers génériques des inhibiteurs ECA sur le marché. Car c’est bien connu: dès que la copie d’un produit original est enfin autorisée, les prix chutent. Le producteur dispose alors d’un seul moyen pour éviter que son chiffre d’affaires fasse de même: développer un produit légèrement différent qui sera à nouveau protégé durant plusieurs années. Les inhibiteurs nouveaux sont donc arrivés, avec moins d’effets secondaires (problèmes de toux surtout), mais tout aussi chers.
Dossier bon à savoir
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Bon à Savoir a traduit l’ouvrage du pharmacien Markus Fritz, directeur du Bureau d’information suisse sur les médicaments. «Bonnes pilules, mauvaises pilules» est un guide destiné à aider les patients à se retrouver dans la jungle de 1173 médicaments importants. Dans un langage clair et accessible, l’auteur commente et désigne sans détour ceux qui sont bons et ceux auxquels il vaut mieux renoncer. Disponible dès la fin mai (bulletin de commande en page 24).