Les villes s’agrandissent, les banlieues s’étoffent, le trafic des pendulaires explose. On déménage rarement, mais on se déplace tous les jours. En train… lorsqu’on ne peut faire autrement. Car il faut dire à la décharge des automobilistes convaincus qu’un déplacement en train, ultrapratique pour un riverain de gare, devient bien plus délicat lorsqu’il s’agit de composer avec des horaires de bus. Et tourne au casse-tête lorsqu’on habite en dehors des voies des transports publics.
Pour les CFF, l’enjeu économique est le même: convertir au train des automobilistes – par nécessité ou par essence, si l’on ose dire. Devant l’inefficacité des arguments écologiques, surtout en terre romande, la régie a eu l’idée futée qui s’imposait: ne pas faire abjurer les aficionados de la bagnole, mais au contraire leur montrer que cette dernière est le moyen idéal… de prendre le train.
6000 places en 2006
C’est ainsi qu’une vieille idée a été remise au goût du jour: le parking Parc+Rail, un parking à proximité immédiate des gares, offrant un tarif préférentiel aux porteurs d’un billet de train – et pratiquant un tarif dissuasif pour les autres. Vieille idée, parce que des parkings P+R existent déjà depuis 10 ans à Lausanne, voire 20 ans à Genève-Cornavin, par exemple. «Ce qui a changé en 2001, explique Alain Lapaire, chef de la filiale de Lausanne de la division Immobilier des CFF, c’est que le concept est désormais intégré à un programme global visant à attirer le public au rail, notamment par l’augmentation de l’offre actuelle de P+R.»
Des milliers de nouvelles places de parc devraient donc être aménagées en Suisse romande d’ici à l’an 2006, pour un budget-cadre global d’environ 87 millions de francs (pour l’ensemble de la Suisse). Un projet déjà sur les rails: au printemps, Yverdon-les-Bains comptera 224 places, grâce à un investissement de 2,65 millions; Neuchâtel ouvre un nouveau parking de 92 places à côté de l’Office fédéral de la statistique, et le littoral neuchâtelois offrira 80 places supplémentaires, pour ne prendre que ces exemples bientôt d’actualité – Expo.02 oblige.
L’intérêt des petites gares
L’ambition des CFF ne semble pas déraisonnable: les parkings P+R sont un succès, leur saturation régulière le prouve, du moins sur les grandes lignes et sur les grands arrêts (Lausanne, Genève, Fribourg, Neuchâtel, etc.). Au point de poser problème à la régie : «L’augmentation du nombre de places en ville s’oppose parfois à la volonté des autorités ou de certains groupes de pression de limiter l’accès des autos en ville», note Alain Lapaire. La solution? «Cibler les parkings des gares secondaires, ces dernières étant devenues plus attrayantes par le développement des lignes régionales», résume le chef de filiale, qui prend l’exemple de Coppet (VD): «Le taux de fréquentation du parking a explosé avec l’introduction de l’Inter Régio (IR) sur la ligne. Il est vraiment important de souligner que la formule peut devenir très intéressante à l’écart des grandes gares.»
On s’en doute: même en tenant compte du prix du parking, la formule «voiture-train» est avantageuse en temps et en argent, comme le prouve le test auquel se sont livrés les journalistes de Bon à Savoir et d’On en parle – RSR La Première (voir encadré page suivante). Mais même si Alain Lapaire ne cache pas son enthousiasme et lance au passage que les réclamations sont «très rares», le système n’est pas parfait.
A la queue!
Au chapitre des doléances, outre la saturation des parkings – que les pendulaires peuvent contrecarrer en prenant un abonnement au mois ou à l’année – il faut savoir que pour bénéficier du tarif préférentiel, les «P+Ristes» doivent faire valider leur ticket de parking au guichet de la gare. Donc faire la queue. Donc prendre garde aux heures d’ouverture des guichets… Même si des solutions existent pour éviter de perdre son temps (voir encadré «Parquer pratique»).
Et pour être préférentiels, les prix n’en sont pas moins très variables: 3 fr./jour à Bex, mais 12 fr. à Fribourg; 50 fr. par mois à Renens, mais 185 fr. (un record) à Lausanne… Des variations imputables avant tout aux coûts de réalisation des parkings. De quoi dérouter les automobilistes intéressés à la formule et désireux de se renseigner un peu.
Trop discret
A supposer, d’ailleurs, que leurs investigations les aient menés jusque-là. Car le principal problème de Parc+Rail, c’est sa discrétion. Aucun prospectus disposé dans les gares, pas un mot à ce propos sur le site web des cff (www.cff.ch), pas une ligne dans l’indicateur officiel. Et l’enquête menée par Bon à Savoir et On en parle dans les sept plus grandes gares romandes le montre: il n’est pas toujours facile à l’automobiliste de découvrir l’entrée du parking – sans parler d’obtenir des informations claires à propos des P+R au guichet.
Alors, P+R, un truc réservé aux initiés? «Il y a une lacune de communication, admettent de concert Alain Lapaire et Jacques Zulauff, porte-parole des CFF. Nous allons d’ailleurs intégrer un volet publicitaire au programme en cours, et vendre le Parc+Rail comme un produit complémentaire à l’offre voyageurs.» Moins jargonnantes, les autres améliorations prévues au P+R comprennent notamment la simplification du système de validation, éventuellement par l’adoption d’un système de carte à puce. D’ici là, des solutions intermédiaires comme la validation aux guichets «spécialisés» (bagages, Ticket Corner, etc.) sont mises en place, et le maître mot des employés CFF, en la matière, est «souplesse», jure Alain Lapaire. Aux automobilistes de le prendre au mot. Et aussi, disons-le, d’en prendre un peu de graine.
Blaise Guignard
Parquer pratique
Le P+R, du côté des initiés
Guichets alternatifs
Il est souvent possible de faire valider son ticket de parking sans attendre au guichet des voyageurs, en s’adressant à l’un ou l’autre des guichets offrant des prestations spéciales: Ticket Corner à Lausanne, bagages à Neuchâtel, service après-vente à Genève, GFM à Fribourg, etc. Renseignez-vous auprès desdits guichets.
Distance minimale
Futé, vous pensiez parquer toute la journée à bon marché à Lausanne et passer la journée à Morges, Vevey ou Montreux… Détrompez-vous: le tarif préférentiel P+R n’est pratiqué qu’à partir d’une certaine distance couverte (voir tableau), qu’il vaut la peine de connaître avant de se lancer dans des calculs d’épicier.
Validation en retard
Vous n’avez pas pu valider votre billet et avez payé plein tarif, parce que vous avez voyagé en dehors des heures d’ouverture des guichets CFF? Pas grave: on vous remboursera la différence sur présentation de la quittance du parking et de votre billet de train. Autre possibilité dans certains parkings: le secrétariat du parking, habilité à valider votre billet de train en dehors des horaires de guichet.
Renseignements
Enfin, pour tout renseignement à propos des P+R: Info Service CFF, tél. 0900300 300. Si l’on ne vous trouve pas l’information souhaitée, on saura en tout cas vous mettre en communication avec la personne qui la connaît.
en voiture ou en train
Le train, «demi-tarif» automobile!
Tout en voiture ou via Parc+Rail: deux options de trajets pendulaires testées par nos journalistes. La première coûte le double de la seconde…
C’est évident, l’automobiliste pendulaire a besoin d’arguments convaincants pour troquer le volant contre un billet de train. Parquer à bon prix pour bénéficier d’un moment de lecture, de travail ou simplement de repos tout en voyageant est intéressant. Mais s’il faut se lever plus tôt ou dépenser plus, nul doute que la voiture apparaîtra alors comme «la seule solution valable».
Savigny-Genève
Pour déterminer si Parc+Rail a de quoi séduire en parlant de coût et de temps de déplacement, les journalistes de Bon à Savoir et On en parle se sont mis dans la peau d’un habitant de Savigny – un village situé à 12 km de Lausanne, relativement peu desservi par les transports publics – se rendant à l’Hôpital universitaire de Genève, pour un rendez-vous à 9 h du matin.
Un groupe s’est rendu en auto au P+R de Lausanne pour rejoindre Genève par le train. L’autre est parti pour Genève, via l’autoroute. Les deux voitures ont quitté Savigny en même temps, un jour de semaine à 7 h 15 exactement, sous une bise glaciale. Bilan de leurs voyages respectifs…
Option Parc+Rail
Aller
7 h 15 Départ de Savigny
7 h 41 Arrivée au parking P+R de la gare de Lausanne
7 h 45 Attente de 3 minutes au guichet
8 h 06 Départ du train avec 10 minutes de retard
8 h 30 Arrivée à Genève-Cornavin
8 h 35 Arrivée du bus TG n° 1
8 h 50 Arrivée à la réception de l’Hôpital
Retour
10 h 10 Départ de l’Hôpital, attente du bus à l’arrêt
10 h 29 Arrivée à la gare de Cornavin
10 h 30 Départ du train, attrapé de justesse
11 h 04 Arrivée du train à Lausanne
11 h 32 Arrivée à Savigny
Coût:
Frais kilométriques (0,72 ct./ km1) 18 fr
P+R Lausanne 6 fr.
CFF Lausanne-Genève-retour, plein tarif 35 fr.
Total 59 fr.
Option «Tout en voiture»
Aller
7 h 15 Départ de Savigny
7 h 30 Premier bouchon
7 h 55 Fin du bouchon
8 h 24 Bouchon plus bref au niveau de la sortie «Coppet»
8 h 37 Sortie de l’autoroute à «Genève-Centre»
8 h 59 Arrivée au parking de l’Hôpital
9 h 05 Arrivée à la réception de l’Hôpital
Retour
10 h 10 Départ de l’Hôpital
10 h 15 Sortie du parking
10 h 34 Entrée sur l’autoroute par la rue de Lausanne
11 h 20 Arrivée à Savigny
Coût:
Frais kilométriques (0,72 ct./ km1) 117 fr.
Parking à Genève 1 fr.
Total 118 fr.
ce qui a été testé
Clé en poche, ticket en main
Comment les journalistes ont testé Parc+Rail.
Les parkings Parc+Rail ne sont pas cantonnés aux grandes villes, mais c’est là que leur usage se corse: il est plus ardu pour un automobiliste désireux de prendre le train de se frayer un chemin aux heures de pointe vers le centre de Genève que vers la gare de Puidoux-Chexbres…
De même, on s’en doute, le parking P+R de Gland sera par hypothèse plus facile à trouver que celui de Bienne, et la foule susceptible de retarder la validation du ticket de parking au guichet de la gare posera plus problème à Fribourg qu’à Palézieux.
Compte tenu de tous ces éléments, les journalistes d’On en parle et de Bon à Savoir ont choisi de tester les parkings P+R des chefs-lieux des six cantons romands, sans oublier Bienne, capitale francophone bernoise.
Le test a été réalisé à l’échelle 1/1: les «experts» sont arrivés en voiture aux abords de la gare, ont dû trouver le parking, ache-ter un billet de train et faire valider leur ticket de parking au guichet avant de se rendre sur le quai. Ont été notamment évaluées la signalisation du parking aux abords de la gare et la visibilité des informations sur le fonctionnement du parking.
Réalisée deux fois, le matin entre 7 h et 8 h et le soir entre 17 h et 18 h, l’expérience a également permis d’évaluer le temps pris par l’indispensable validation du ticket au guichet — une opération que les pendulaires réguliers évitent grâce à l’abonnement mensuel.
Blaise Guignard