Voilà vingt ans que les phosphates ont été supprimés des lessives. Mais depuis 1986, ils sévissent toujours. On retrouve en effet cette molécule dans les détergents pour lave-vaisselle. De ce fait, l’eau des lacs est toujours polluée. Certes, on est loin des pics atteints à la fin des années 70, mais des efforts sont encore nécessaires pour atteindre une situation écologique équilibrée.
La Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (CIPEL) déplore que, malgré les progrès des stations d’épuration, 27 tonnes de phosphore provenant des lave-vaisselle finissent chaque année dans le lac*. Ce phosphore (élément contenu dans le phosphate) sert d’engrais aux algues, qui prolifèrent et consomment de l’oxygène en se décomposant. Résultat: les eaux s’asphyxient et se dégradent, c’est l’eutrophisation.
Un seul produit hors limite
Les détergents pour lave-vaisselle ne sont pas les seuls responsables. Selon la CIPEL, ils représentent 11% des apports en phosphore liés à l’activité humaine. Leur suppression représenterait néanmoins un gain important pour l’écosystème. Pour guider le choix des utilisateurs, la commission a comparé les teneurs réelles en phosphore de trente produits (voir tableau).
Seuls trois détergents sont exempts de phosphates. Il s’agit des marques écologiques Held et Ecover, disponibles dans les magasins spécialisés, pharmacies et drogueries. Tous les autres rejettent plus de 2 g de phosphore par lavage. Mais un seul dépasse la limite de 2,5 g fixée par l’Ordonnance sur la réduction des risques liés aux produits chimiques: la poudre Casino, qui atteint 3,2 g par lavage (les autres produits – entre 2,5 g et 2,7 g – bénéficient d’une marge d’erreur de 10%). Contacté par Bon à Savoir, Casino a décidé de retirer ce produit de la vente d’ici à fin octobre.
Pastilles plus chargées
Le comparatif de la CIPEL indique aussi que les poudres contiennent, selon les indications sur l’emballage, 15% à 30% de phosphates. Quant aux pastilles, elles arrivent à plus de 30%. Cela s’explique par le fait que les tablettes en ont besoin pour bien se dissoudre durant le lavage, contrairement aux poudres.
Mais les produits qui affichent les pourcentages les plus élevés ne sont pas forcément ceux qui polluent le plus. En effet, tout dépend de la quan-tité de produit nécessaire par lavage. Les Foxomat tabs de Coop, par exemple, nécessitent 20 g de produit par lavage, dont 31,5% (soit 6,3 g) de phosphates, d’après les analyses de la CIPEL. Chaque lavage génère donc 2 g de phosphore (puisque, pour les amateurs de chiffres, 1 g de phosphate contient 0,326 g de phosphore).
A l’inverse, la poudre Casino, avec seulement 20,4% de phosphates décelés, émet toutefois 3,2 g de phosphore, car il faut en mettre 48 g dans le lave-vaisselle.
Difficile de faire l’impasse
Au Conseil national, deux motions demandent la suppression totale des phosphates dans ces détergents. Mais le Conseil fédéral n’est pas intéressé, arguant que le gain écologique serait trop faible et que, en outre, on enfreindrait les règles de concurrence en interdisant des produits autorisés dans l’Union européenne.
L’Association suisse des cosmétiques et des détergents partage évidemment cet avis. Elle prétend aussi que les produits sans phosphate ne satisfont pas aux exigences des consommateurs, car ils nettoient moins bien et laissent des résidus de calcaire, endommageant aussi bien la vaisselle que les machines. Pourtant, Bon à Savoir a testé l’efficacité de plusieurs produits, avec et sans phosphates, sans trouver de grandes différences dans la qualité de lavage (lire BàS 7/2005). Une autre enquête, menée auprès des services techniques des constructeurs de lave-vaisselle (BàS 7/2004), ne permettait pas non plus d’incriminer la moindre panne aux produits sans phosphate (contrairement aux produits 3 en 1 qui sont reconnus comme étant problématiques).
En attendant que les autorités suisses et européennes décident d’affronter l’industrie, les consommateurs peuvent commencer par choisir leur produit en connaissance de cause.
Yves-Alain Cornu
*www.cipel.org > Campagne phosphate 2006
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.