Depuis plus d’un an, la loi pour la protection des animaux interdit clairement de couper la queue des chiens. Car vous ne le saviez peut-être pas, mais jusqu’à l’an dernier, il était courant de raccourcir la queue des doberman, cocker, boxer ou autre chien de race.
«Inadmissible!» clamaient alors les protecteurs des animaux, qui n’admettaient pas une telle mutilation pour simplement répondre à des standards esthétiques imposés par des clubs de cynologie. «Mais vous n’y êtes pas du tout!» répliquaient ces mêmes clubs, rejoints par la plupart des éleveurs professionnels: «Cela fait cent ans que l’on coupe la queue des chiens de chasse, explique l’un d’entre eux. Simplement parce que lorsqu’ils sont en pleine action, ils la bougent très rapidement. Si elle avait la taille d’origine, on la retrouverait en mille morceaux dans les ronces...»
Le conflit a duré plusieurs années, jusqu’à ce que le Conseil fédéral tranche et ratifie la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie. Il n’est certes pas le seul à l’avoir fait, mais tous les autres signataires ont émis une réserve sur ce point précis. La Suisse est donc le seul pays à interdire de sectionner la queue des chiens. «Il est vrai que nous avons pris de l’avance sur le plan européen, commente Heinz Müller, porte-parole de l’Office vétérinaire fédéral, mais c’est le Parlement qui l’a voulu ainsi.»
Importation autorisée
L’ordonnance fédérale, entrée en vigueur le 1er juillet 1997, interdit dès lors ce genre de pratique, mais autorise l’importation de chiens à la queue coupée, pour autant qu’ils soient âgés de cinq mois au moins. Une exception un tantinet hypocrite
(pas de mutilation chez nous, mais on ferme les yeux si elle est faite à l’étranger...) et franchement bizarre, puisque l’opération est pratiquée trois à quatre jours après la naissance du chiot... Alors pourquoi attendre cinq mois? «Pour freiner l’importation, explique Heinz Müller. Les gens préfèrent en effet acheter des chiens entre la sixième et la huitième semaine. En fixant une limite de cinq mois, on ne prétérite pas trop les éleveurs suisses.»
Eh bien, c’est raté! En effet, dans le magazine consacré aux animaux Tierwelt, on a récemment pu lire dans l’annonce de Franz Docekal, d’Uznach (SG), un bijoutier vendant des dobermans importés de Tchéquie: «Nos chiots sont âgés de dix semaines et ont tous la queue coupée.»
M.Docekal n’ignore pas qu’il est dans l’illégalité, mais pour lui, les affaires dominent: «Pour le 90% de ma clientèle, il n’est pas question d’acheter un chien avec sa queue.» Aussi leur offre-t-il ce qu’ils veulent, d’autant qu’ils ne peuvent plus le trouver en Suisse. Et s’il enfreint la limite légale, c’est effectivement parce que ses clients désirent acheter leur chien le plus tôt possible, ce qui facilitera la future éducation.
Le Bernois Martin R. a répondu à cette annonce et s’est rendu directement à Prague pour aller chercher le chiot acheté à M. Docekal. Il a passé la frontière bâloise sans problème, prétextant que l’amputation était due à des raisons médicales. Or, une fois que l’animal est dédouané, l’importation est considérée comme légale et le propriétaire ne peut plus être poursuivi. Franz Docekal suggère d’ailleurs à ses clients qui ont préféré la clandestinité de repasser la frontière avec le chien lorsqu’il a atteint cinq mois et de le dédouaner alors.
La PSA proteste
Personne n’est dupe, mais personne non plus, sauf la Protection suisse pour les animaux (PSA), n’a décidé de partir en croisade contre de telles pratiques. «Tant que les pays voisins autoriseront de sectionner la queue des chiens, nous ne pourrons éviter ce genre de marché», soupire Ulrich Kihm, directeur de l’Office vétérinaire fédéral. Même discours auprès de l’Association suisse de cynologie, qui dénonce certes officiellement cette infraction à la loi, mais qui estime que cela n’est vraiment pas très grave de couper la queue d’un chiot: «Il ne ressent qu’une toute petite douleur lors de l’opération», assure Marlène Zähner, vétérinaire et présidente du département élevage de l’association.
Il n’y finalement que Marianne Staub, présidente de la PSA, qui, après avoir obtenu que la Suisse soit le premier pays européen à interdire qu’on coupe la queue des chiens, exige encore l’interdiction totale de leur importation: «Cette façon de faire n’est rien d’autre qu’une mutilation! Et ce faisant, on enlève au chien un important moyen de communication.»