Tout le monde connaît l’adage: «Donner, c’est donner. Reprendre, c’est voler.» Or, c’est bien ce qui risque de se passer avec les retraités étrangers qui ont cru faire une bonne affaire en s’exilant au Portugal pour bénéficier du statut de «résident non habituel» (RNH). Mais ça, les quelques rares annonces qui en font encore la promotion dans la presse suisse n’en parlent pas...
Ce privilège a été mis en place en 2009 pour redresser une économie mal en point, en premier lieu pour attirer les actifs européens (Suisses inclus) avec une imposition à taux fixe de 20% sur le revenu. Comme le Portugal ne connaît pas l’impôt sur la fortune, on peut parler de conditions très attrayantes, d’autant que la vie y est plus avantageuse que dans les pays voisins, et carrément bon marché par rapport à la Suisse. Aussi, lorsque ce statut a été étendu aux retraités avec, en sus, une exonération de l’impôt sur les rentes durant les dix premières années, l’offre tenait du cadeau (ou plutôt tient du cadeau, car elle est toujours valable).
Distinction entre le 1er et le 2e pilier
Des milliers de personnes en ont profité, entre 6000 et 40 000 selon les sources, qui diffèrent considérablement même lorsqu’elles sont officielles. Parmi ces nouveaux résidents, une très nette majorité de retraités sans activité, majoritairement Français. Pour bénéficier de ce statut, ils ont dû prouver qu’ils n’avaient pas résidé fiscalement durant les cinq années précédant leur installation au Portugal et s’engager à désormais y vivre au moins 183 jours par an.
Pour un retraité suisse, le privilège ne concerne pas nécessairement la totalité de ses revenus. Pour l’AVS, c’est bingo: le Portugal a signé une convention de double imposition (CDI); mais, comme il renonce provisoirement à taxer via le statut RNH, les cantons et la Confédération n’ont que leurs yeux pour pleurer. Il en va autrement des rentes du 2e pilier, selon qu’elles relèvent du droit public ou privé. Dans le premier cas, elles sont presque toujours imposées à la source (par la caisse de pension) si le retraité réside dans un pays avec une CDI. Mais ce n’est pas le cas avec les rentes du 2e pilier qui relèvent du droit privé.
Pouvoir d’achat triplé
Prenons l’exemple d’un couple neuchâtelois cumulant des rentes (1er et 2e pilier privé) pour un montant annuel de 78 000 fr. et d’une épargne de 300 000 fr. (3e pilier). Il va devoir s’acquitter d’une facture fiscale pour un total de 12 628 fr. En Suisse, il disposera donc, après impôt, d’un budget mensuel de 5448 fr., contre 6500 fr. au Portugal, soit une différence de 1052 fr.
Mais, sachant que le coût de la vie, location incluse, est 132%* plus cher à Neuchâtel qu’à Setubal – petite ville portuaire au sud de Lisbonne – cela revient à dire que le pouvoir d’achat de notre couple de retraité est presque trois fois plus important au Portugal qu’en Suisse, puisqu’il dispose de l’équivalent de 15 080 fr. au lieu de 5448 fr.!
Reste que l’avantage fiscal est limité à dix ans. Ce délai passé, il faudra s’acquitter de l’impôt portugais, nettement plus élevé qu’en Suisse, notamment pour les petits revenus. Exemple: un Portugais seul avec une rente annuelle de 21 000 € (25 200 fr.) va payer une taxe de 3830 € (4596 fr.), soit 18,24% de son revenu. Avec le même profil, un Neuchâtelois paie trois fois moins, soit 1438 fr. (5,72%).
Statut en suspens
Mais surtout, il faut que le RNH perdure, ce qui est loin d’être assuré! Car les pays directement concernés n’apprécient guère cette sorte de dumping fiscal et commencent à montrer les dents. La Finlande, notamment, a d’ores et déjà obtenu du Portugal une nouvelle convention stipulant qu’elle pourra taxer les pensions de ses expatriés, même s’ils sont RNH. Elle devrait entrer en vigueur sous peu. La Suède menace de faire de même et, en France, le Conseil d’Etat a estimé qu’une personne exonérée d’impôt dans son Etat de résidence ne peut pas être considérée comme résidente de cet Etat au sens des conventions ficales. Autrement dit: il y a fort à parier que, à terme, les RNH français soient également taxés à la source.
Et en Suisse? Dans un rapport publié l’automne dernier, le Contrôle fédéral des finances (CDF) a – lui aussi – relevé le problème, même s’il ne concerne que 20% des rentes AVS exportées. Il n’empêche: les experts soulignent l’inégalité de traitement que cela engendre et suggèrent d’étudier une éventuelle imposition à la source. Bref, reprendre, c’est peut-être voler, mais le risque est bel et bien là .
*Source: numbeo.com
Christian Chevrolet