Marylène Tintori a perdu son fils, Marc-Henri Kocher, en octobre 1993, des suites d’une maladie engendrant des atteintes neurologiques graves (lire nos éditions d’octobre 1999 et mai 2000). Trois ans au préalable, alors qu’il ne se savait pas encore atteint dans sa santé, Marc-Henri avait contracté un petit crédit auprès de la banque Migros. A la fin 1992, son état s’aggrave et il doit cesser de travailler. Il continue pourtant de rembourser ses dettes, en empruntant même de l’argent à sa mère, sans lui dire pourquoi. Ce n’est donc qu’en juin 1993, peu avant sa mort, que sa mère prend connaissance de cet emprunt et s’étonne que le remboursement n’ait pas été suspendu.
En cas de maladie
En effet, la plupart des petits crédits sont complétés par une assurance couvrant le paiement des primes en cas de maladie ou d’accident. Le plus souvent, il s’agit, comme au Crédit Suisse, d’une assurance qui complète le contrat de prêt. Mais parfois, comme à la banque Migros, cette prestation est incluse dans le contrat.
Blanc bonnet et bonnet blanc? Pas du tout! Dans le premier cas, le règlement se fonde sur la LCA (Loi sur le contrat d’assurance) et doit donc la respecter. Par exemple, aucune sanction n’est possible pour un assuré si les circonstances d’une faute ne lui sont pas imputables. Une réserve qui peut tomber dans le deuxième cas, même si la situation en devient franchement absurde, comme le prouve l’exemple de notre lectrice.
Curieux délai
L’article 6e du règlement 1990 de la banque Migros stipule en effet que la suspension du remboursement n’est possible que si l’emprunteur le demande expressément 40 jours après l’arrêt de travail et s’il n’a pas de retard dans ses paiements. Question qui vient immédiatement à l’esprit: comment une personne tombée dans le coma, ou suffisamment atteinte – physiquement ou psychologiquement – peut-elle annoncer son accident ou sa maladie dans les délais? Pas de réponse, évidemment. Marc-Henri Kocher n’ayant pas respecté ce délai, sa mère a dû régler les arriérés pour obtenir la suspension des paiements.
Après la mort de son fils, elle revient cependant à la charge, menant un combat concernant tous les consommateurs et que nous avons donc soutenu financièrement par l’intermédiaire de notre Fonds d’action juridique. Elle demande en effet non seulement le remboursement des primes en retard qu’elle a payées, mais aussi celles réglées par erreur par son fils en arrêt de travail, partiellement grâce à son aide financière. Ce faisant, elle espère que les juges reconnaîtront qu’en déclinant plusieurs fois le verbe assurer dans sa publicité et en imposant un délai sans se préoccuper de savoir si on peut le tenir, la banque Migros a induit son fils en erreur.
Elle n’a pas été entendue, même au plus haut niveau. Les juges fédéraux ont en effet considéré que la publicité était secondaire par rapport au contrat. Et ils n’ont pas abordé le problème du délai impossible à tenir dans certains cas, puisque la clause contestée n’est, selon eux, pas liée à la LCA. Dans de telles circonstances, les sportifs parlent de déviation en corner. Les consommateurs n’ont que leurs yeux pour pleurer...
Un choix décisif
Moralité (si l’on ose dire): le montant des primes à payer lors d’un petite crédit sont une chose, les réserves possibles sur la suspension du remboursement en cas de maladie en est une autre, tout aussi importante. Si vous hésitez entre deux offres, donnez votre préférence aux institutions offrant un tel service sous la forme d’une assurance: vous serez mieux protégé.
Christian Chevrolet
réactions
Des regrets, c’est tout
En déboutant notre lectrice, le Tribunal fédéral a donné raison à la banque Migros, dans une cause qui concernait pourtant tous les consommateurs. En soutenant, avec votre aide, Mme Tintori dans son combat, nous espérions faire évoluer favorablement la jurisprudence. En effet, en cas de victoire, toutes les banques agissant comme la Migros auraient dû revoir leur règlement.
Après avoir pris connaissance de l’arrêt du Tribunal, nous avons écrit à la direction de la banque Migros en lui demandant de répondre à quatre questions précises:
• Avez-vous l’intention (ou avez-vous déjà modifié) l’article 6e de votre règlement ou vous appuierez-vous sur le jugement du TF pour le maintenir?
• Comment justifiez-vous cet article par rapport aux autres institutions bancaires qui appliquent la LCA?
• Estimez-vous vraiment, à l’instar du TF, que la publicité dans laquelle vous utilisez au moins deux fois le verbe «assurer» pour vanter cette prestation n’est pas importan-te et qu’elle ne pouvait induire votre client en erreur?
• Qu’avez-vous à dire à Mme Tintori face au drame qu’elle a vécu et des conséquences qu’elle a dû subir?
La Migros n’a pas répondu aux trois premières questions, se contentant de nous renvoyer au jugement du TF, ainsi qu’à ses nouveaux règlements et publicités. L’article incriminé est maintenu tel quel dans le règlement actuellement en vigueur. En revanche, la publicité ne parle plus d’assurance (voir illustration à droite). Migros regrette enfin la maladie et le décès de M. Kocher et compatit à la douleur de sa mère.
C’est tout. C’est peu.