Non content d’être à la tête d’une vingtaine de boulangeries à Genève, Aimé Pouly, l’un des boulangers genevois les plus fortunés de la place, inonde désormais la Suisse de son célèbre pain Paillasse. La recette de son succès est simple: un brevet officiel et une formule magique (celle dudit pain) à vendre aux boulangers intéressés.
Mais avant de se lancer dans une telle aventure, mieux vaut avoir fait ses comptes, car l’investissement est lourd. Un boulanger qui souhaite se franchiser devra d’abord verser 2000 francs pour les droits de fabrication et l’utilisation du logo. Il devra ensuite acheter une farine spéciale, vendue 20% plus chère qu’une farine courante. Un quota minimal de production sera aussi exigé. Et pour couronner le tout, la publicité du nouveau produit sera à sa charge. «Nous n’obligeons personne à produire le pain Paillasse, assure Catherine Pouly, l’épouse d’Aimé Pouly. Ce sont les boulangers eux-mêmes qui font la demande d’être franchisés, tout en connaissant nos exigences.»
Un succès aigre-doux
Une centaine de boulangers suisses ont aujourd’hui misé sur Pouly. Un pari considéré pour certains comme juteux, pour d’autres comme casse-cou. Difficile en effet de croire au plein bonheur d’un boulanger bernois contraint à ouvrir sa boutique le dimanche pour écouler sa production et tenir ses quotas. Ou d’un autre, qui attend encore les retombées financières de son investissement, se consolant avec les nouveaux clients curieux que l’enseigne lui apporte. Mais il y a encore ceux qui jettent l’éponge en cours de route, et enfin tous ceux qui refusent d’entrer dans la ronde du pain Paillasse: «Je désapprouve totalement ce procédé, s’insurge un résistant. Enchaîner financièrement des boulangers pour qu’ils fabriquent tous le même pain, c’est tuer deux fois l’artisanat!»
Qui m’aime, me copie
Mais tous les avis ne sont pas aussi tranchés. «Il faut l’avouer: Pouly a réalisé un coup de marketing incroyable! admet Jean-Claude Génécan, président de l’Association des artisans boulangers-pâtissiers de Genève. L’idée était excellente, et il a rondement mené son affaire. Et même si l’image de marque de l’artisanat en a souffert, il a bel et bien redonné un coup de fouet à la profession.»
Respect donc, malgré tout, devant l’homme d’affaires. On ne compte d’ailleurs plus les Tordu, Panosse, Paillard et autres Paillu, qui ont fleuri depuis l’arrivée du Paillasse. Chacun y va de sa recette personnelle, respecte un temps de fermentation plus long – qui donne ce petit goût acidulé et cette croûte croustillante – tord le tout et tente de surfer sur la vague. La Coop avoue même, à mi-mots, s’être inspirée du célèbre pain pour lancer son petit nouveau au rayon boulangerie: la Torsadée!
«Il est vrai que ces copies nous font un peu de tort», commente Catherine Pouly. Mais goûtez-les: vous verrez bien qu’aucune d’entre elles n’égale notre Paillasse. Elles ne font que prouver notre succès. Et de toutes façons, nos ventes sont en constante hausse.»
Rien n’annonce donc la fin des beaux jours pour Pouly qui semble bien décidé à nous faire manger son Paillasse à toutes les sauces! Version américaine avec le MacPouly: un sandwich Paillasse chaud, servi dans des tea-rooms «lookés» fast-food. Version terroir, avec la Complète: une baguette Paillasse à la farine complète. Et enfin, version pur beurre avec la Tresse Paillasse, qui n’est rien d’autre qu’une tresse, fabriquée selon la magique recette du Paillasse et généreusement agrémentée de beurre.
Un pain européen
L’assaut national de ces trois nouveaux produits est programmé pour le printemps, et certains boulangers semblent toujours prêts à suivre le géant du petit pain, au risque de se mettre eux-mêmes dans le pétrin. Mais le choses n’en resteront pas là: après une quinzaine de nouveaux franchisés en Allemagne et en Autriche, Pouly sort la grande cavalerie et parle aujourd’hui d’une extension tambour battant à toute l’Europe. Voilà ce qui devrait lui permettre de beurrer ses tartines... des deux côtés!
Rachel Egli