Dominique, James, Jonathan et William Bovy ont emménagé dans un appartement neuf, en 1988, au chemin des Roches, à Pully. Ils ont signé un bail peu ordinaire en Suisse romande, mais courant en Suisse alémanique et dans le canton de Neuchâtel. Les charges ne concernent pas que le chauffage et l’eau, mais de nombreux frais accessoires: conciergerie, abonnements d’entretien, taxes publiques, etc. Autant de frais généralement inclus dans le loyer et qui expliquent des acomptes assez élevés: 320 fr. dans le cas des Bovy pour un loyer initial de 1750 fr.
«Ce système est tout à fait légal, explique Nicole Tille, juriste à l’Association suisse des locataires (ASLOCA-Lausanne). Mais pour autant que les frais accessoires figurant sur le bail puissent être mis à la charge des locataires. Or, dans le cas de la famille Bovy, certains frais, tels les impôts et les assurances de l’immeuble, ont été facturés alors que la loi ne le permet pas.»
Petite parenthèse pratique: si vous vous trouvez devant un tel contrat, demandez à votre prédécesseur le montant des charges et surtout quelle somme on lui restituait ou demandait en sus. Car ce n’est pas tant le système en soi qui a lentement provoqué la colère de la famille Bovy, mais bien ses conséquences. Les premières années en effet, elle touchait annuellement une ristourne d’environ 400 fr. Mais, dès 1992, la tendance s’est inversée, avec des suppléments salés à la clé. Selon l’ASLOCA, la famille aurait payé environ 5000 fr. en trop. Avec deux autres locataires, elle demande donc des comptes à sa gérance, Regimo, à Lausanne.
Rendement insuffisant
L’affaire aurait pu être simple si une demande de baisse de loyer n’était venue s’y greffer. La famille Bovy, comme l’ensemble des locataires, pense logiquement y avoir droit, puisque le loyer a systématiquement augmenté lorsque le taux hypothécaire était à la hausse, mais qu’il n’a que modestement diminué depuis qu’il est à la baisse. La gérance prouve toutefois que le rendement de l’immeuble est insuffisant et peut donc refuser une diminution. Elle en accorde cependant une, à bien plaire, à tous les locataires en juillet 1997. Sauf à trois d’entre eux, ceux-là mêmes qui restent en litige à propos des charges...
Moyen de pression
«C’est du chantage», s’indigne James Bovy. Une critique à peine adoucie par Nicole Tille, qui parle de moyen de pression. Mais une critique récusée par le représentant de la gérance, qui assure n’avoir pas refusé cette baisse pour le litige en cours, mais parce que ses calculs étaient contestés. Pourtant, rappelle l’ASLOCA, dans le rapport de la séance de conciliation du 22 janvier 1998, on peut lire «que les précédents litiges sont pendants au Tribunal des baux, que des pourparlers transactionnels sont en cours entre les parties et que le rendement de l’immeuble est insuffisant. Pour ces raisons, la Fondation propriétaire n’entre pas en matière sur la demande de baisse des loyers».
• Résumons la situation...
• Si, comme cela semble être le cas, la gérance peut prouver une insuffisance de rendement, elle n’est pas obligée d’accorder une baisse de loyer. Et si elle le fait à bien plaire, elle peut parfaitement cibler sa générosité, puisqu’un bail est un contrat privé. «C’est humainement très contestable, commente l’avocat de l’ASLOCA, mais légalement inattaquable.»
˛ Bien que cela ait pris énormément de temps, provoquant une lassitude bien compréhensible de la part des locataires, les parties n’ont cessé de négocier pour tenter d’éviter une confrontation au tribunal.
˛ Début janvier 1999, un accord semble sur le point d’être trouvé: la famille Bovy aura droit à une baisse de loyer (avec effet rétroactif) identique à celle accordée aux autres locataires, ainsi qu’à une indemnité pour solder les anciens décomptes, «assez proche de celle que l’ASLOCA a calculée». Enfin, la liste des frais accessoires sera rectifiée (suppression des assurances et des impôts immobiliers).
• Fin janvier, la proposition de la gérance tombe: d’accord sur tout, mais une indemnité de 1000 fr. seulement. La famille Bovy refuse avec raison et la situation se bloque à nouveau pour de longs mois.
Après deux mois d’enquête, Bon à Savoir est cependant en mesure d’annoncer que l’affaire va aboutir: la gérance a déjà accepté de doubler l’indemnité, et il est vraisemblable qu’elle acceptera de l’augmenter encore un peu, la famille Bovy étant prête alors à transiger. Moralité de l’affaire: il faut absolument se battre lorsque l’on est dans son droit. Les trois locataires auront certes passé par tous les états d’âme, mais leur ténacité leur aura permis de toucher une indemnité que leurs voisins plus conciliants n’auront finalement pas.
Christian Chevrolet