Sous le titre «Pas si inoffensive, la cigarette électronique!» le magazine français 60 millions de consommateurs publiait, en septembre dernier, les résultats d’analyses menées sur une dizaine de produits, qui ont révélé la présence de «composés potentiellement cancérogènes» dans les vapeurs de cigarettes électroniques (e-cigarettes). L’annonce a été aussitôt reprise dans de nombreux médias: la cigarette électronique serait cancérigène et dangereuse, probablement autant que la cigarette classique.
Avec son test, l’Institut national de la consommation (INC) qui édite 60 millions de consommateurs s’est attiré les foudres des «vapoteurs» (adeptes de l’e-cigarette), mais aussi de médecins et de chercheurs convaincus de l’intérêt de ce dispositif pour le sevrage tabagique. A l’instar de Jean-François Etter, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté de médecine de l’Université de Genève, responsable du site de prévention Stop-tabac.ch, et qui vient de sortir le premier ouvrage de référence sur le sujet*. Il estime que «60 millions de consommateurs a commis une faute professionnelle grave et adopté une communication complètement abusive». A ses yeux, le propos de l’article risquait surtout de fournir des arguments à ceux qui veulent interdire ou médicaliser l’e-cigarette.
Contacté par Bon à Savoir, Thomas Laurenceau, rédacteur en chef de 60 millions de consommateurs, dit regretter le malentendu provoqué par ce test, car il reconnaît clairement que la cigarette électronique est moins dangereuse que la cigarette classique. «Ces produits doivent cependant être contrôlés et, le cas échéant, améliorés.» Quant au risque d’une éventuelle médicalisation de la cigarette électronique, il semble écarté pour l’instant, avec la récente décision du Parlement européen de ne pas imposer de réglementation pharmaceutique à l’e-cigarette.
Effets à long terme
Au-delà, un fait demeure: les bases scientifiques qui permettraient de trancher entre l’efficacité ou la toxicité du dispositif manquent. Et les affirmations qui nourrissent le débat relèvent davantage de la profession de foi que de faits démontrés. Enfin, on ignore encore presque tout de son effet à long terme chez les «vapoteurs».
En effet, seuls des essais cliniques randomisés contrôlés fournissent une preuve claire de l’efficacité d’un traitement. Or, à ce jour, deux études de ce genre évaluant l’efficacité de l’e-cigarette dans le sevrage du tabac ont été publiées et, dans les deux cas, les effets étaient peu significatifs. Pour Jean-François Etter, ces résultats décevants seraient dus aux «faiblesses des protocoles». Il signale que, dans l’attente d’un essai clinique conduit dans les règles de l’art, «on dispose d’études observationnelles très encourageantes, bien qu’elle ne fournissent que des indications».
Politique variable selon le pays
Reflet de ces inconnues: le statut légal de l’e-cigarette présente de grandes disparités d’un pays à l’autre. Elle est interdite dans certains, autorisée dans d’autres. En Suisse, le dispositif est autorisé, mais la vente de liquides contenant de la nicotine interdite. Toutefois, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) autorise l’importation de 150 ml pour un usage personnel.
Pour Jean-François Etter, cet excès de prudence est «dommageable et probablement responsable de milliers de morts par année, car il laisse le monopole de la nicotine en vente libre à la source la plus meurtrière: l’industrie du tabac». Comme 60 millions de consommateurs, il admet qu’il serait souhaitable d’édicter des normes sur la qualité et la sécurité des liquides, tout en gardant à l’esprit le principe suivant: «Dans la mesure où la cigarette électronique est susceptible de permettre aux fumeurs de diminuer leur consommation de tabac, voire d’arrêter de fumer, elle n’a pas besoin d’être sûre à 100%, mais elle doit être plus sûre que la cigarette classique.»
Catherine Riva
*«La vérité sur la cigarette électronique», Jean-François Etter, Ed. Fayard 2013.
Bonus web:Cigarettes électroniques: vrai/faux