C’est arrivé bêtement. En soulevant un carton au bureau, Estelle a senti une forte tension au bas du dos. Un lumbago, pense-t-elle immédiatement. Du repos, quelques séances chez le physiothérapeute ainsi qu’une médication légère suffiront. Sauf que, et elle ne s’en doutait pas, les quelques centaines de francs que coûtera le traitement devront sortir de sa poche dans le cas où la franchise de son assurance de base n’est pas encore épuisée. Car, s’il s’agit a priori d’un banal accident, l’assurance accidents ne l’entend pas de cette oreille et se retournera vers l’assurance maladie.
Il faut un élément «extraordinaire»
Au regard de notre système de santé, se bloquer le dos est bel et bien considéré comme une maladie dans la plupart des cas. Pour comprendre cette bizarrerie, il convient de bien lire la définition de l’accident selon la loi sur l’assurance accidents (LAA): «Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire.»
C’est ce dernier élément qui entre en ligne de compte dans notre exemple. Il n’y a en effet pas eu d’élément extérieur anormal. L’OFSP confirme: «Les traumatismes dus au soulèvement d’une charge lourde ne sont pas couverts, à moins que quelque chose d’extraordinaire soit arrivé en même temps, comme un trébuchement ou une glissade.»
La Société suisse des médecins-conseils met à disposition un manuel faisant office de référence «pour tous ceux qui sont concernés par les prestations de la médecine des assurances». On peut y lire cet exemple précis: «Des douleurs à la nuque apparaissant après avoir fait des tours de manège ne résultent pas d’un accident, car il est dans la nature même d’une installation de ce type de solliciter fortement la colonne cervicale par les effets de l’accélération.»
Les hernies peu couvertes
Un autre mal de dos fortement répandu est l’hernie discale. Là aussi, même si l’on a l’impression de l’avoir déclenchée en faisant un mauvais mouvement, par exemple en jouant au badminton lors de sa pause de midi, l’assurance accidents n’entrera probablement pas en ligne de compte.
Les bases juridiques qui servent à la prise de décision sont claires: «L’expérience des médecins exerçant dans le domaine du droit de l’assurance accidents montre que, pratiquement, toutes les hernies discales se produisent en présence de modifications dégénératives des disques intervertébraux. Et qu’il n’arrive que très rarement, dans des conditions très particulières, qu’un événement accidentel puisse être envisagé comme la cause proprement dite d’une hernie.» De ce fait, l’assureur prendra en charge «uniquement le syndrome douloureux lié au déclenchement» et non une opération chirurgicale, par exemple.
Le «type de sport» change tout
L’accident en lien avec une activité sportive peut aussi représenter un casse-tête pour les blessés. En effet, la LAA n’entre pas toujours en vigueur, suivant le sport et le niveau de la personne impliquée. C’est ce qu’on observe en jetant un coup d’œil aux arrêts du Tribunal fédéral qui font jurisprudence. En 2006, il se prononçait de la sorte: «Une rupture ligamentaire survenant en pratiquant le tennis est à la charge de l’assurance accidents, car ce sport est particulièrement exigeant pour le corps, du fait des accélérations brutales et des changements de direction fréquents.»
Toutefois, en 2004, le TF jugeait que se blesser en jouant au volley ne représente pas un accident: «Ce sport implique des positions de corps extrêmes, qui sont entraînées, par exemple pour intercepter une balle, et bien des mouvements peuvent se terminer au sol, sans pour autant qu’on dépasse ce qui est usuel dans cette pratique sportive.»
Selon le TF, les capacités personnelles du blessé sont, elles aussi, déterminantes pour juger de la nature accidentelle ou non de la lésion: «Un geste habituel manqué par un sportif entraîné est un accident. En revanche, le même geste manqué par une personne non entraînée ne serait pas un accident. En effet, il n’est pas «extraordinaire» qu’un amateur rate sa manœuvre.» Lorsqu’il s’agit de remplir un constat d’accident auprès de son assurance, le blessé aura donc fin nez de se déclarer sportif aguerri…
Loïc Delacour