Un dossier qui se retrouve systématiquement en dessous de la pile, des expertises qui traînent en longueur, deux recours en justice... Cela fait plus de six ans que Javier Losada Pereira a déposé une demande de rente AI et sa situation n’est toujours pas réglée. En attendant, il est sans ressources: «Reste à espérer que ma femme continue à me nourrir», remarque notre lecteur, désabusé.
A en croire Alain Porchet, directeur de l’Office de l’assurance-invalidité pour le canton de Vaud, cette «bulle» resterait exceptionnelle dans un système par ailleurs bien huilé. Vraiment?
L’exception qui...
«J’ai une armoire pleine de cas qui mettent cinq à six ans à aboutir», répond Thierry Thonney, avocat de Javier Losada Pereira et président de la section vaudoise de l’Assuas (Association des usagers d’assurances sociales). Même son de cloche du côté du Centre social protestant (CSP), qui dénonce les lenteurs du système depuis un certain temps déjà. Et même si seule une minorité des 24 000 cas traités par l’AI chaque année dans le canton de Vaud tarde à aboutir, chacun cache une situation humaine dramatique. Financièrement, après les 24 mois couverts par l’assurance perte de gain, il ne reste souvent plus que l’assistance publique pour survivre.
Sept ans de galère
Les problèmes de Javier Losada Pereira commencent en novembre 1995, lorsque des douleurs dorsales l’obligent à abandonner son métier de maçon. En mai 1996, notre lecteur dépose une demande de rente auprès de l’Office AI du canton de Vaud. Lequel met trois ans à se prononcer pour ne lui accorder finalement qu’une rente à 50%. Car selon elle, Javier Losada Pereira serait capable de reprendre une activité à temps partiel moins dure physiquement, comme pompiste ou ouvrier dans une usine (lire encadré). Or, concrètement, il est très difficile de retrouver une place lorsqu’on est malade, sans qualification et qu’on n’a pas travaillé depuis plusieurs années. M. Pereira saisit donc le Tribunal cantonal des assurances. Son recours est admis en juin 2000 et son dossier renvoyé à l’Office AI pour complément d’instruction. Une année plus tard, coup de théâtre: l’AI revient sur sa décision, mais pas dans le sens escompté. On l’estime capable de gagner complètement sa vie et sa demi-rente lui est retirée!
L’AI serre la vis
«Cela paraît injuste, mais juridiquement, on ne peut pas reprocher à l’Office AI de reconsidérer une situation», remarque Thierry Thonney. L’avocat constate toutefois que l’Office AI est devenu plus sévère, notamment vis-à-vis des personnes présentant des troubles d’origine psychosomatique, comme pour son client. Or, ce sont des cas complexes, demandant souvent plusieurs expertises médicales, que les lenteurs administratives viennent encore compliquer.
A cet égard, l’Office AI n’est pas seul en cause. Il y a également la difficulté de trouver des experts. «Et les délais des tribunaux pour traiter les cas de recours sont beaucoup trop longs», dénonce Thierry Thonney. Au jeu du «hâte-toi lentement», ce lecteur se retrouve donc à la case départ, en attendant que son deuxième recours aboutisse...
Sophie Reymondin
droit à la rente
L’invalidité est une notion économique
Pour avoir droit à une rente de l’AI, il faut présenter en moyenne une incapacité de travail de 40% pendant une année au moins. Mais attention: on pense souvent que l’incapacité de travail indiquée dans un certificat médical correspond au degré d’invalidité. Or, celui-ci se fonde sur des critères économiques.
C’est la comparaison entre le «revenu invalide» et le «revenu valide» qui détermine le degré d’invalidité d’un assuré. Autrement dit, on compare le salaire que la personne invalide «pourrait» réaliser avec celui qu’elle gagnait avant de devenir invalide.
Concrètement: revenu valide (par exemple 6000 fr.) moins revenu invalide (par exemple 3000 fr.) = 3000 fr. (perte de salaire). Pour obtenir le degré d’invalidité, on divise la perte de salaire par le revenu valide, donc 3000 fr.:6000 fr. = 0.5, d’où un degré d’invalidité de 50%.
Il faut une invalidité d’au moins 50% pour avoir droit à une demi-rente et d’au moins 66% pour une rente complète. Un degré de moins de 40% ne donne pas droit à une rente AI.
C’est ce mode de calcul qui a desservi Javier Losada Pereira: même si personne ne conteste son incapacité de travail à 100% comme maçon, l’AI a estimé qu’il pourrait pratiquer une autre activité à 100% et que la différence de salaire ne justifiait donc pas le droit à une rente.