Que la viande de bœuf soit meilleur marché en France qu’en Suisse, personne n’en doute. Mais est-elle aussi plus tendre et plus savoureuse, comme nous l’ont fait remarquer de nombreux lecteurs?
– «Incontestablement, répond ce boucher de Collonges sous Salève, petit bourg français qui accueille régulièrement les “touristes alimentaires” genevois. Nous vendons des pièces provenant de bêtes à viande qui ont trois ans d’âge, du Charolais surtout, que nous laissons rassir sur l’os 20 jours au moins. Rien à voir avec la viande de taurillons suisses, vendue après dix jours de rassiment sous vide: elle manque de goût et de tendreté.»
– «Pas du tout, rétorque Pierre-Alain Dufey, de la Station fédérale de recherches en production animale, à Posieux. Nous avons mené en 1997 une étude de préférence “grand public”. 1780 personnes, domiciliées en Suisse romande surtout, ont dégusté “à l’aveugle” des faux-filets de bœuf provenant de Suisse, France, Argentine, Brésil et Etats-Unis. La viande suisse est sortie assez nettement en tête par rapport à la viande française. Certaines affirmations ne se vérifient donc pas dans un contexte contrôlé avec des procédures standardisées.»
La filière de la qualité
En fait, la qualité de la viande en général dépend de nombreux facteurs, allant de la sélection à la consommation, en passant par la production et la commercialisation. Autrement dit: pour avoir le meilleur steak possible dans votre assiette, la participation active des éleveurs, des transporteurs, des abatteurs, des bouchers et... de vous-même est en jeu! Avec Pierre-Alain Dufey, remontons la filière (voire schéma ci-dessus) en analysant la responsabilité de chaque acteur influençant, d’une manière ou d’une autre, la qualité de la viande.
La sélection
Première étape de la filière: la sélection des bêtes.
• La Suisse, contrairement à beaucoup d’autres pays, a tenté de concilier deux types de bovin en un seul, en élevant des bêtes pouvant répondre aussi bien aux besoins en lait qu’en viande (type mixte). Dans les années 70, l’attractivité de la production laitière étant beaucoup plus forte en raison des prix pratiqués, des croisements ont eu lieu avec des races étrangères fortement laitières. Avec plus ou moins de bonheur: «Les croisements effectués sur la race suisse du Simmental ont amélioré la qualité de la viande, résume Pierre-Alain Dufey. Mais une nette détérioration a été observée pour l’autre race indigène, la race Brune.»
La production
Deuxième étape de la filière: la production, dépendant directement des éleveurs.
• La viande de bœuf suisse provient à 70% de taurillons de 450 à 550 kilos, de race Tachetée rouge (dite de Simmental) et brune. Qui dit taurillon fait référence à l’âge (11 à 15 mois) et au sexe (mâle). Or, «l’âge entraîne une diminution de la tendreté, rappelle Pierre-Alain Dufey. Tout comme il assombrit la couleur de la viande». Deux bons points, donc, pour les jeunes taurillons suisses. Toutefois, ce sont les génisses qui ont la viande la plus tendre, juste avant les bœufs, mais bien avant les taurillons. Rien n’est parfait...
• Le mode de garde (accès à la pâture, stabulation libre, engraissement extensif, etc.) et l’alimentation influencent également la qualité de la viande. Il est par exemple prouvé qu’après un engraissement au pâturage, la tendreté de la viande augmente si l’on finit l’élevage avec quelques semaines d’alimentation abondante.
La commercialisation
C’est l’une des phases les plus importantes, qui dépend tout à la fois des transporteurs, des abatteurs et des bouchers.
• «Le transport des bovins n’est pas un vrai problème en Suisse, estime Pierre-Alain Dufey: les distances sont trop courtes pour ça. Mais certaines erreurs peuvent provoquer du stress, ce qui n’est jamais bon pour la viande. Par exemple en attachant des bêtes habituées à la stabulation libre, ou en mélangeant des lots qui n’ont pas été élevés ensemble.»
• Mêmes remarques pour l’abattage, une étape qui ne devrait pas poser de problème en soi. Sauf, par exemple, lorsqu’on fait attendre les bêtes trop longtemps et qu’on diminue du même coup leurs réserves d’énergie.
• La réfrigération après l’abattage est certainement l’un des facteurs qui influence le plus la qualité de la viande. Si elle est trop rapide ou trop lente, les muscles vont se contracter et les dégâts seront alors irrémédiables. «L’idéal, estime Pierre-Alain Dufey, serait d’atteindre une température interne (réd.: intérieur de la carcasse) entre 10 et 15 degrés, 24 heures après l’abattage.» Problème de taille: il n’y a pas de normes à ce sujet en Suisse. «Or, constate le chercheur, le problème va aller en s’accroissant. Car à cause de contraintes sanitaires de plus en plus élevées, la tendance est de réfrigérer également de plus en plus vite...»
• La phase suivante, tout aussi vitale, dépend directement de votre boucher: la maturation. Giovanni Barbaro, de la boucherie Elikan, connue des gastronomes lausannois pour la qualité exceptionnelle de sa viande, est catégorique: «Pour qu’une entrecôte ait une tendreté optimale, elle doit rassir au moins trois semaines sur la carcasse en chambre frigorifique.» Mais ce traitement coûteux oblige à vendre la viande plus chère, ne serait-ce que parce qu’elle perd 9% de son poids durant ces trois semaines. Pierre-Alain Dufey confirme que, malheureusement, cette étape indispensable est aussi raccourcie: «Pour des raisons de coûts, la viande est souvent commercialisée de plus en plus vite, parfois après une semaine seulement.»
• Le problème du découpage enfin n’est pas anodin non plus. «Les bouchers français ne coupent pas la viande exactement comme nous, admet Jacques Chappuis, porte-parole du Conseil romand de la boucherie. Par exemple, ils couperont un morceau de rumsteak sur toute sa longueur, alors que nous le subdiviserons en cinq parties au préalable.» Et surtout, ils laisseront plus de graisse superficielle. C’est certes moins présentable et il faut payer son poids au prix de la viande maigre, mais «quel goût!», s’enthousiasme ce restaurateur romand.
Consommation
La dernière phase concerne le seul consommateur: vous!
• La prise en charge, c’est le transport de la boucherie à votre réfrigérateur. Il est vital de ne pas rompre la chaîne du froid, donc de ne pas laisser la viande trop longtemps à une température supérieure à 5 degrés.
• La conservation est tout aussi importante. Rangez votre viande dans son emballage de boucherie dans la partie inférieure et donc la plus froide du réfrigérateur. Si vous la congelez, préférez la viande sous-vide et faites-le au plus vite, quitte à baisser provisoirement la température du congélateur.
• La cuisson enfin, est certes une affaire de goût, mais aussi de savoir-faire. Si votre viande de bœuf été congelée, décongelez-la lentement: déplacez-la d’abord du congélateur au réfrigérateur (env. 24 h avant pour des tranches) et sortez-la pour la laisser à la température ambiante de la cuisine au moins une heure avant la cuisson. Si la viande est sous vide, ouvrez l’emballage durant cette dernière étape.
Jetez votre viande dans une poêle très chaude, afin que les pores se referment et que le jus ne coule pas. Ne salez que le côté supérieur après avoir retourné le morceau. Et si votre entrecôte dépasse 4 cm d’épaisseur, préférez la cuisson au four.
Christian Chevrolet
Sélection Production Commercialisation Consommation
Prise
Type Race Sexe Age Transport Réfrigération en charge Cuisson
Programme Mode Alimen- Abattage Maturation Conservation
croisement de garde tation