C’est une pièce mille fois jouée sur le théâtre routier, mais son dénouement n’en finit pas de surprendre. Acte I: en reculant pour sortir du parking, un automobiliste heurte le pare-chocs d’une autre voiture stationnée là. A l’œil, les dégâts semblent minimes, voire inexistants – à peine une griffure sur le pare-chocs… Etablir un constat dans ces circonstances semble superflu, et c’est sans réticence que le responsable de la «touchette» accepte de prendre en charge les frais de réparation, estimés dérisoires par lui comme par le lésé.
Acte II: le responsable reçoit la facture de réparation du sinistre. Et sa sérénité vole en éclats: la douloureuse dépasse les 2000 francs! «Les carrossiers se moquent bien de nous», conclut l’automobiliste dans un monologue final plein d’amertume, avant de se jurer, la prochaine fois, de prendre la fuite. Rideau.
«C’est extrêmement fréquent, sourit Michel Besson, chef expert des sinistres pour la direction lausannoise de la Winterthur Assurances. Les gens ne voient que l’extérieur, et ne vont pas regarder l’état de la tôle sous le plastique du pare-chocs ou même sous la moquette tapissant le coffre.» De fait, la «touchette invisible» (mais onéreuse) constitue pratiquement le quotidien des experts comme des carrossiers.
Le coup de la jupe
Tout vient de la conception des voitures modernes, pourvues de zones déforma-
bles, comme l’explique Jean Markwalder, président de la Fédération des carrossiers romands (FCR): «Un pare-chocs est constitué d’une enveloppe en plastique creux, vissée sur la partie arrière inférieure de la carrosserie, la “jupe”. En cas de choc, l’enveloppe se contracte, puis, grâce à son élasticité, reprend souvent sa forme originale. La jupe, elle, se déforme afin d’absorber l’énergie cinétique.»
Chère peinture
Faut-il le préciser, la tôle ne se redresse pas toute seule. «Il faut déposer l’enveloppe, détaille Jean Markwalder, scier la jupe le long des points de soudure, souder une nouvelle pièce et la peindre, avant de reposer l’enveloppe. Et on ne parle même pas de l’éventuelle réparation de l’enveloppe elle-même!»
Un travail dont le gros œuvre est constitué par la peinture, un travail long (facilement deux heures pour une petite pièce, facturées en moyenne 120 fr. chacune) et délicat – c’est au carrossier de trouver la bonne teinte sur le nuancier et de mélanger les composants nécessaires. Et une peinture fantaisie complexe atteint aisément plusieurs centaines de francs.
A l’arrivée, une facture forcément maousse, que les assurances RC ne paient pas les yeux fermés. Loin de là: «Nous utilisons un logiciel qui calcule au centime près le coût de n’importe quelle réparation, pièces, peinture et travail compris, pour n’importe quelle voiture de n’importe quelle marque, au tarif appliqué par la carrosserie qui s’en charge», lance Michel Besson. Le montant calculé sert de référence à la facture ou au devis établis par le carrossier – qui travaille d’ailleurs parfois avec le même outil informatique, «l’Audatex», du nom de la société qui le commercialise. La facture ne passe pas toujours la rampe de l’Audatex: «Le désaccord le plus fréquent touche au temps de travail. On se réfère alors aux temps de travail indiqués par le constructeur», expose l’expert de la Winterthur.
Sans complaisance
Des temps de travail souvent calculés au plus juste – histoire de justifier le «faible coût d’entretien» avancé par les constructeurs comme argument marketing. «Experts et carrossiers travaillent en partenariat, mais on ne peut les soupçonner de complaisance les uns envers les autres», conclut Jean Markwalder.
Blaise Guignard
le bon calcul
Réparer ou remplacer?
Il semble saugrenu de qualifier de «pare-chocs» une pièce de plastique cassable, souvent peinte, donc peu apte à supporter sans traces visibles les petites brutalités de parcage. Ces enveloppes à la géométrie parfois compliquée sont-elles donc rigoureusement irréparables? «Non, répond Jean Markwalder: on peut les ressouder à chaud, les poncer, les mastiquer et les repeindre, du moins lorsque la cassure n’est pas trop étendue.» Et à condition que l’enveloppe soit d’une forme simple et peu structurée. Auquel cas la pièce doit être changée.
Plus généralement, le choix entre la réparation et le remplacement en cas de tôle froissée obéit à un seul critère: la solution la meilleur marché, en fonction de l’ensemble des coûts. Or, le changement d’une pièce entière, travail compris, est souvent plus avantageux qu’une réparation délicate.