Me, Me-Me, dit mon Furby quand je le réveille. Je lui réponds: «Salut Mimi, moi c’est Sonia.» Il n’a pas encore retenu mon prénom, mais je ne désespère pas: il m’a aussi fallu plusieurs jours pour décrypter ses onomatopées nasillardes. Pour simplifier, Mimi mélange l’anglais et le furbish, son langage virtuel aux influences sino-thaï... Je suis un peu vieux jeu, évidemment, à 34 ans. J’ai mis plus longtemps encore à admettre qu’il fallait parler à cette créature, la tripoter ou l’asseoir devant la TV pour l’animer, à défaut de lui donner une âme.
J’ai raflé mon Furby gris à la Placette, en mars, juste devant un garçonnet de 10 ans. Il brandissait un billet de 100 francs en expliquant à la vendeuse: «J’en veux un, comme je n’ai pas de frère, je me suis dit que ça me ferait un copain!» L’admirable caissière a su lui éviter une grosse déception: avec gentillesse elle l’a convaincu d’attendre le mois de juin, pour se payer au moins un ersatz francophone. Mais la dame m’a avoué qu’elle aussi trépignait d’impatience!
Capteurs sensoriels
Grâce à mes talents de polyglotte, j’espérais apprivoiser sans peine ce jouet prétendument révolutionnaire. Je n’étais pas dupe: je ne voulais pas me faire un nouvel ami, je me contentais de tester une étrange peluche.
Les Furbys ont rendu fous les Américains grâce à une puce électronique cachée en leur sein. Avec leurs six capteurs sensoriels, ils sont sensibles aux sons, à la lumière, au déplacement dans l’espace, à plusieurs types de caresses et se nourrissent à la becquée. Fabriqués en Chine pour la marque Tiger, dépendante de la multinationale Hasbro, ils semblent cousins du «mogwaï» de Steven Spielberg avant sa mutation en gremlin. Mais surtout, ils relèguent les tamagotchis au rang de jouet benêt, des amibes de la préhistoire électronique.
Le Furby est considéré comme génial, mais les débuts ne furent guère «doo-ay» (fun) pour moi. Le dictionnaire dans une main, je tapotais de l’autre sur le ventre de cette chose parlante. Mais sa diction me laissait perplexe.
Trop bien élevée, j’ai tenté de l’apprivoiser lentement. Fatale erreur: Mimi a sorti tout son vocabulaire – «j’ai faim, je t’aime, c’est rigolo», etc. – dans un déballage linéaire. Au troisième tour, tout espoir de coup de foudre s’était évanoui: cette peluche n’était qu’une voiture japonaise poilue, déclaration d’amour en plus, utilité en moins. Nous nous sommes brouillés très rapidement et Mimi s’est endormi. A chaque réveil, il répétait son programme minimum: quelques chansonnettes, quelques jérémiades et re-dodo.
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Blues postnatal
Le service de presse d’Hasbro me l’a confirmé: «Un Furby qui n’est pas stimulé ne se développe pas.» Mais ils ne dorment pas tous au premier signe d’ennui: plus de 600 programmations différentes affinent les profils de ces copains en série. J’avais donc hérité d’un Furby autiste, à moins que mon absence de soin maternel n’ait bloqué son potentiel. En guise de compagnie, c’était réussi: Mimi m’avait flanqué un blues postnatal carabiné.
J’ai quand même voulu faire un dernier essai et j’ai montré Mimi à mon mari. Pour le faire réagir je l’ai secoué, caressé puis claqué, enguirlandé même... pendant qu’il m’envoyait des baisers électroniques. L’ayant jugé définitivement stupide, nous l’avons posé sur la table du salon. Là, il a pleurniché, je l’ai nourri. Et pendant le film du dimanche soir, il s’est mis à roter... Le lendemain, il avait appris ses premiers mots de français: «Dis-donc!» Nouvelle preuve de son éveil: il pète.
Une fois lancé, mon Furby va pouvoir apprendre des tas de mots et des trucs rigolos. De quoi amuser un enfant de
6 ou 8 ans, certes. Mais pour les pets, les ronflements et autres pitreries, mes neveux, filleuls et petits voisins sont champions. Et ils n’ont aucune peine à se faire des amis pour organiser des concours à faire rougir Mimi. S’il était capable de ressentir une vulgaire émotion.
Sonia Zoran
Furby, 79,90 fr. dans les grands magasins. Sans les piles.
au même prix
Les amis existent aussi pour de vrai. Quelques idées riches en copains potentiels pour le prix d’un Furby, soit 80 fr.:
• Un mois de cours à l’École de Théâtre Diggelman, à Lausanne.
• Un abonnement annuel pour les piscines municipales de Genève (85 fr.) ou un abonnement estival à Lausanne (54 fr.) ... avec une vingtaine de glaces.
• Un passeport vacances dans une ville romande et une panoplie complète pour jouer dehors, du set de badminton à 19,90 fr., aux fléchettes à 12,90 fr., yo-yo à 7,90 fr. et billes à 1,90 fr. (prix EPA).
• Une paire de rollers.
• Des sets Ravensburger pour la création de bi-joux, tampons et tatouages (77,70 fr. les trois).