Les grands distributeurs ne doivent-ils pas trier leurs déchets? Et au lieu de jeter de la nourriture encore consommable, pourquoi ne la vendent-ils pas moins cher ou ne la donnent-ils pas aux personnes dans le besoin?
Ce sont les questions posées par un lecteur de Bon à Savoir, après avoir passé dans les coulisses de l’hypermarché de Coop, au Léman Center à Crissier (VD). Là, il raconte avoir vu des bennes à ordures remplies de pâtisseries et d’autres contenant divers déchets pêle-mêle: fruits et légumes emballés, gobelets en plastique, bouteilles en verre, canettes de bière pleines en alu et autres paquets de lessive endommagés.
Les règles de Coop
Répondons à sa première question d’emblée: oui, les grands distributeurs sont censés trier leurs déchets d’exploitation (emballages, surplus de marchandises, etc.) au mieux. Chez Coop d’ailleurs, qui affiche un taux de recyclage de 66% sur le plan suisse, les «Règles nationales relatives aux retours», stipulent que tout ou presque est à trier: confiseries, fruits et légumes, cartons, films plastiques, palettes, aluminium, verre perdu, etc. Puis à retourner aux centrales pour être recyclé ou dûment éliminé.
La réalité correspond-elle toutefois à la théorie? Pour le savoir, nous n’avons pas hésité à… faire les poubelles, et avons visité les locaux de tri des déchets de l’hypermarché Coop à Crissier. Rien d’anormal, à première vue, dans cette organisation apparemment rodée. C’est en ouvrant des bennes que nous avons constaté quelques irrégularités, telles ces bouteilles en verre jetées avec du papier ou des cageots en bois mélangés à du plastique. Rien de comparable, cependant ce jour-là, à la description de notre lecteur.
Contradictions
Selon Sissigno Murgia, le gérant, les employés savent ce qui est à trier, mais il faut le leur rappeler régulièrement. Ils ne sont toutefois pas seuls en cause. Ainsi, alors que, selon les consignes nationales, les déchets de confiserie ou les fruits et légumes doivent être déballés pour servir à l’alimentation animale ou au compost, à Crissier ils sont simplement jetés… «J’ignorais ces consignes, et nous n’avons pas les moyens pour les déballer et les stocker pour le transport», constate le gérant.
L’explication de ces contradictions internes chez Coop vient de Michel Ottoz, chef du service des transports de la centrale de Satigny (GE): «Ces règles ne sont pas encore toutes appliquées sur le plan romand. Selon les régions, certains déchets ne sont pas encore récupérés, reconnaît-il. Mais dès 2006, au lieu des actuelles cinq centrales romandes, il n’y en aura plus qu’une grande, en construction à Aclens (VD). On y retournera tous les déchets de nos magasins romands, et tout sera ainsi unifié.»
Migros récupère tout
Chez Migros, il n’y a pas de règles nationales pour le tri des déchets, mais tout est trié. «Chaque coopérative s’organise comme elle l’entend», explique Lucien Sauthier, responsable du service logistique de la centra-le de Migros-Vaud, à Ecublens. Tous les déchets et surplus (marchandises, cartons et plastiques d’emballage, etc.) des magasins du canton sont amenés dans ce lieu pour ensuite être incinérés, recyclés, traités pour l’alimentation animale, etc. Une infrastructure gigantesque, puisqu’on y récupère par exemple 3,5 t de fruits et légumes par jour (destinés à l’incinération), ou 7 t de cartons recyclables. Migros-Vaud dispose d’ailleurs de sa propre centrale d’incinération thermique, qui chauffe l’eau et ses locaux durant sept mois par année environ.
Mais chez le géant orange aussi, nous avons vu de petites infractions, tels ces légumes jetés avec leur emballage au lieu d’être déballés. «Chaque magasin forme son personnel au tri, mais certains choisissent la solution de facilité, déplore Lucien Sauthier. Si nous constatons que le tri est mal fait, nous procédons à une information au magasin responsable.»
Question de responsabilité
Globalement, les deux grands de la distribution semblent donc faire leur part pour revaloriser les déchets. Mais ce qui peut choquer, ce sont les quantités d’aliments jetés: pâtisseries, charcuterie, fruits et légumes, yogourts, fromages, etc. «Ce qui est périmé ou défraîchi l’est pour tous, note, catégorique, Sissigno Murgia de Coop à Crissier. Le jour de la date d’échéance, nous vendons ces produits à moitié prix aux clients, puis, après la fermeture, aux employés. Ensuite, les invendus sont jetés. Mais on ne donne rien, car on ne plaisante pas avec la fraîcheur!»(1)
Même pratique chez Migros-Vaud, où seuls les surplus de pain et de pâtisseries sont donnés par certains magasins à certaines associations. «Nous n’aimons pas jeter! Mais si un produit est légalement devenu invendable, Migros ne peut pas se permettre de le donner aux consommateurs, commente Lucien Sauthier. Cela peut paraître dur, mais notre responsabilité est en jeu. Pour éviter le gaspillage, nous nous efforçons surtout de gérer au mieux les stocks afin de réduire au maximum les déchets.»
Ellen Weigand
(1)Dès 2005 Coop donnera ses surplus alimentaires à la Fondation Tables Suisses qui les distribuera à des institutions sociales.