Acheter un dispositif protecteur ou tomber gravement malade à cause de «nœuds électromagnétiques de Hartmann» nocifs, situés en plein sous les lits: c’est en raccourci le choix proposé fin juillet, par la maison fribourgeoise Full Sanity, à Rachel Bongard et sa famille, suite à une inquiétante analyse géobiologique à domicile.
L’analyse était gratuite, le «Biodispositif» censé protéger des rayons, lui, ne l’est pas: sorte d’alèse magnétisée à la fibre de carbone, il vaut la bagatelle de 600 fr. dans son format «enfant», et 940 fr. pour un lit double.
Au lieu de sortir son porte-monnaie, Rachel Bongard a fait part de ses doutes à Bon à Savoir. «Full Sanity est-elle fiable, et ses employés ont-ils la formation nécessaire pour faire de telles études?» se demande notre lectrice. Qui s’interroge par ailleurs sur le sérieux de la géobiologie en tant que telle – cette parascience qui consiste à étudier les interactions énergétiques entre les lieux de vie et les êtres humains, et au besoin à en pallier les effets négatifs (voir encadré).
Formation d’un mois
«Nos quatre employés ont tous une sensibilité particulière. Ils reçoivent en outre une formation d’un mois, que je surveille personnellement», affirme G. R., patron de Full Sanity à Corminbœuf (FR), qui refuse que son nom apparaisse dans nos colonnes. L’homme est sur la défensive, mais sûr de lui: «Le Biodispositif est un système allemand éprouvé, que nous vendons depuis sept ans. C’est un produit extraordinaire, qui stoppe totalement les perturbations telluriques.»
Ce n’est pas l’avis de tous les géobiologistes. A Genève, Daniel Pittet ne connaît pas le «Biodispositif» de Full Sanity, mais ne se fait guère d’illusions: «J’ai étudié plus de 3000 appareils censés stopper rayonnements et vibrations énergétiques. Aucun ne fonctionne plus d’une heure, et certains sont même carrément nuisibles dans leur effet!»
80% ne vaut rien
Le fondateur de «Géobiologie Les Eaux Vives» est tout aussi sceptique quant à la validité de l’analyse menée chez la famille Bongard: «Un mois de formation est peut-être suffisant pour détecter les réseaux Hartmann, les plus évidents en géobiologie, mais certainement pas pour en maîtriser les effets, ni pour percevoir les autres interactions électromagnétiques à prendre en compte.»
«Beaucoup de prétendus géobiologistes ne sont là que pour vendre leur matériel, renchérit Stéphane Cardinaux, architecte EPFL et géobiologiste, membre de l’Association suisse d’écobiologie (ASdB). Or, le 80% des dispositifs vendus dans ce contexte ne valent absolument rien. Sans compter que beaucoup de problèmes de rayonnements parasites peuvent être résolus de façon simple: en déplaçant un meuble, en installant une mise à terre, ce genre de choses.»
Oui, mais comme beaucoup de parasciences, la géobiologie attire les charlatans. Stéphane Cardinaux déplore le manque d’éthique de nombreux géobiologistes autoproclamés, et conseille de ne demander d’expertise qu’à des spécialistes sérieux et indépendants… n’ayant rien à vendre. Le géobiologiste doit en outre fournir un devis et s’y tenir: «Une expertise sérieuse durera environ 2 heures pour un 4 pièces de 90 m2, et coûtera entre 300 et 450 francs», précise l’expert. Et si l’achat d’un dispositif de protection est tout de même préconisé, il ne se fera qu’à l’essai, «au moins pour un mois, voire trois», afin de vérifier l’efficacité à long terme de l’appareil.
Blaise Guignard
Association suisse d’écobiologie (AsdB), case postale 2161, 1227 Carouge. % (022) 343 36 00.
la géobiologie en raccourci
Parascience ou patascience?
La géobiologie postule que l’être humain est un être énergétique, en interaction permanente avec d’autres sources d’énergie. Ces interactions sont parfois négatives, en particulier lorsque les sources de rayonnement naturelles sont «polluées» par des sources artificielles (appareils électriques, antennes, etc.). La santé de la personne affectée s’en ressent alors: maux de tête, troubles du sommeil, voire dépression et cancer.
L’activité du géobiologiste consiste à détecter sources, réseaux et points d’interaction énergétiques dans les lieux de vie, et à en neutraliser les effets négatifs. Ses instruments sont notamment le pendule, la baguette de sourcier, et surtout sa sensibilité, développée par des années de pratique.
L’idée que l’environnement agit sur l’être humain au-delà de ce qui est scientifiquement établi relève du bon sens. Mais la géobiologie fait flèche de tout bois pour proclamer sa légitimité: jargon scientifique, théorie des Quatre Eléments, traditions mystérieuses de l’Egypte ancienne et mythe de l’Atlantide se mélangent donc dans le discours géobiologiste.
Séduisant si l’on cherche à tout prix une cohérence dans le chaos, mais en réalité franchement indigeste.
B. G