Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. De tout temps, des fraudeurs ont tenté d’abuser des acheteurs de voitures en trafiquant les compteurs kilométriques. Ce qui a changé, c’est la méthode. A l’époque du tout mécanique, les petits malins branchaient leur perceuse sur le câble du compteur pour faire défiler les kilomètres à l’envers.
L’arnaque facile
L’invasion de l’électronique dans les voitures n’a pas rendu l’opération plus complexe. Loin s’en faut. Il suffit désormais d’un ordinateur portable et d’un logiciel adapté pour reprogrammer le compteur. Et même des petits boîtiers, vendus quelques centaines de francs sur internet, font l’affaire. Dans son émission Guide auto-voyage-trafic, la chaîne de télé vision allemande ARD a testé le Digiprog 3 qui est disponible pour 300 fr. sur la toile. Le trucage d’un compteur ne prend alors que quelques minutes.
La pratique est d’ailleurs tellement courante outre-Rhin que la police allemande estime qu’un véhicule sur trois a été trafiqué. En Suisse, le phénomène semble a priori moins répandu, même si le TCS estime qu’il touche 5% à 10% du parc automobile helvétique. Et de préciser: «D’après nos connaissances, cela concerne essentiellement des voitures récentes et de valeur qui sont vendues par des particuliers.»
Difficile à détecter
La supercherie rapporte certes moins gros avec des modèles plus modestes, mais le gain reste facile. En se basant sur l’évaluation de l’Eurotax, une VW Golf 6 1,8 TSI vaut par exemple 10 700 fr. après trois ans et 100000 km parcourus. La même voiture qui totalise 60 000 km a une valeur d’environ 13 300 fr., soit 2600 fr. de plus. On comprend dès lors pourquoi la falsification peut rapporter gros.
Le hic, c’est que la tromperie est difficile à détecter. Le consommateur lambda risque d’ailleurs de ne jamais s’en apercevoir, à moins de demander une analyse à un garage de la marque. Car, dans les voitures modernes, les données sont inscrites dans plusieurs boîtiers électroniques.
Parfois même, l’historique des interventions avec les indications kilométriques est enregistré. Les dix marques les plus vendues en Suisse ont assuré qu’ils disposaient du matériel nécessaire pour repérer les frau des. L’analyse coûte entre 40 fr. et 80 fr., selon le garage.
Précautions à prendre
En cas de suspicion, certains indicateurs sont précieux, à commencer par un prix anormalement bas que le vendeur justifie à coups d’arguments douteux. Un carnet de service inexistant, lacunaire ou farfelu ne présage rien de bon (négligence, fraude, etc.) et, s’il est signé de bout en bout par un même garage qui n’appartient pas au réseau officiel, on peut légitimement émettre des doutes sur sa véracité. Dans le même registre, l’historique des factures d’entretien constitue également une bonne source d’informations.
Bien que l’achat d’un véhicule d’occasion dans un garage n’est pas une garantie absolue, le risque d’être dupé est plus grand auprès d’un privé. Et, lorsque ce dernier ne figure pas même sur la carte grise ou depuis quelques semaines seulement, méfiance: certains malfrats achètent des modèles à fort kilométrage pour fausser leur compteur avant de les revendre. A souligner encore que le bon sens peut, lui aussi, sauver la mise. Une usure excessive de l’habitacle (volant, pédales, sièges, etc.) par rapport au kilométrage du véhicule doit mettre la puce à l’oreille.
Yves-Noël Grin / Darko Cetojevic
ÉCLAIRAGE JURIDIQUE
Se retourner contre le vendeur
La désillusion est grande lorsqu’on apprend que la voiture d’occasion qu’on a achetée a nettement plus de kilomètres que ce que son compteur indique. Comme il s’agit d’un défaut, il convient de se retourner contre le vendeur. Car, comme le stipule l’art. 197 du Code des obligations (CO), celui-ci est notamment tenu de garantir les qualités promises qui peuvent enlever à la chose sa valeur ou la diminuer dans une notable mesure. Et même s’il les ignorait, il doit répondre de ces défauts.
Les escrocs pensent parfois se prémunir contre les réclamations du client en excluant toute garantie. Mais, là aussi, le CO (art. 199) est très clair: «Toute clause qui supprime ou restreint la garantie est nulle si le vendeur a frauduleusement dissimulé à l’acheteur les défauts de la chose.» Le lésé peut alors prétendre à une remise sur le prix d’achat, s’il entend conserver le véhicule, ou faire annuler la vente.