La publicité de la maison Stabilo, parue récemment dans un magazine pour adolescents, est rafraîchissante: un jeune trace avec des feutres de couleur le mot «love» sur l’épaule de sa petite amie. Et sur un plan moins romantique, qui n’a pas écrit dans ou sur sa main une consigne à ne pas oublier? Et pourtant, Christophe Hohl,
du laboratoire cantonal de Bâle-Ville, est catégorique: «L’encre des stylos contient souvent des substances cancérigènes.»
L’homme sait de quoi il parle. En 1997, son établissement a, le premier, révélé que l’encre d’un stylo à bille sur trois était nocive! Mais comme le veut la tradition des laboratoires cantonaux, les résultats ont été publiés anonymement, sans le nom des marques à recommander ou à déconseiller.
Bon à Savoir a voulu remédier à cette lacune pour les consommateurs en confiant
49 stylos à bille et 3 feutres au Laboratoire technique de Bielefeld (Allemagne).
Amines cancérigènes
En fait d’encre, il faut plutôt parler du liquide qui en fait office. Deux des substances qu’il peut contenir, toutes deux du groupe des amines aromatiques, présentent de sérieux risques:
- L’o-toluidin est non seulement cancérigène, mais le corps ne l’élimine pas après absorption. Tous les stylos en contenant sont à déconseiller (voir pages 12 et 13).
- L’aniline est un liquide huileux sans couleur qui détruit les globules rouges et attaque le système nerveux central.
Ces substances sont d’autant plus dangereuses que le corps humain les assimile très facilement, par voie orale ou à travers la peau. Ainsi, des bras peinturlurés ou des notes avec des stylos à bille sur le dos de la main peuvent, à long terme, provoquer des effets négatifs. Et l’habitude très répandue de mouiller une mine desséchée avec la langue peut devenir franchement dangereuse.
L’Ordonnance fédérale sur les objets usuels ne les interdit pas, mais fixe des valeurs maximales pour l’encre des stylos à bille: 50 milligrammes par kg (ppm) pour l’aniline et 5 ppm pour l’o-toluidin. Or, vingt des cinquante-deux échantillons testés dépassent ces valeurs maximales. Quatorze stylos les dépassent même massivement!
Par erreur!
La marque Parker, dont la renommée n’est pourtant plus à faire, est la première concernée: le laboratoire a trouvé dans l’encre du modèle testé une
valeur record de 380 ppm d’aniline et de 32,9 ppm d’o-toluidin. Son stylo n’est donc pas recommandable, tout comme d’autres des fabricants Pelikan, Montblanc, Waterman et Lamy.
Comment se fait-il que des stylos dépassant pareillement les valeurs maximales fixées par l’ordonnance de 1995 puissent être quand même vendus en Suisse? Parce que ses valeurs se réfèrent aux stylos prévus spécialement pour les enfants: un adulte peut donc les acheter. Mais alors, pourquoi aucun des stylos figurant dans la tableau des produits déconseillés ne porte la mention «seulement pour les adultes»?
Kurt Lüthi, de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), se pose les mêmes questions et nous assure que lors de la prochaine révision de l’ordonnance concernée, les valeurs maximales seront étendues à tous les stylos, comme c’était le cas avant 1995. Tenez-vous bien: il semblerait que la référence aux seuls stylos d’enfants soit en fait une erreur!
De toute façon, il nous semble que ces critères ne sont pas encore assez sévères: l’encre d’un stylo ne doit tout simplement pas contenir de traces de ces substances. Car selon Christopher Hohl, du laboratoire cantonal de Bâle-Ville, il est tout à fait possible de fabriquer une encre sans amines. Tel est d’ailleurs le cas de trente stylos à bille et de deux feutres, regroupés dans le tableau des produits recommandables (p. 12). Parmi eux, les modèles de la marque Rotring, qui, en prenant connaissance des résultats de notre test, a tenu à souligner qu’elle portait un soin tout particulier à produire des stylos contenant un minimum de substances toxiques.
Nettoyage des colorants
D’autres fabricants n’ont pas ces scrupules. Et s’ils ont été épargnés jusqu’ici par la critique, c’est parce les substances incriminées ne sont décelables dans l’encre de stylo que depuis la fin 1997. Les réactions sont d’ailleurs très diverses. Caran d’Ache et Bic reconnaissent le problème et affirment qu’ils vont remplacer les substances nocives. Waterman, Parker, Pelikan et Montblanc n’ont pas été en mesure de nous fournir une réponse à temps. Et Lamy nous a simplement fait savoir que ses produits étaient «sans danger».
En fait, selon Christopher Hohl, il est vraisemblable que la concentration trop élevée d’amines aromatiques, comme l’aniline ou l’o-toluidin, provienne d’un mauvais nettoyage des colorants. Ce qui fait une belle jambe aux consommateurs qui devront, par la force des choses, se débrouiller eux-mêmes jusqu’à ce que les fabricants produisent leurs stylos sans substances toxiques. Finalement, les déclarations d’amour peuvent aussi se faire sur du papier...
Classique
La revanche des plumes
Les cartouches d’encre destinées aux plumes sont moins dangereuses que celles des stylos à bille. Bon à Savoir a également testé cinq encres de couleur bleu ou bleu roi. Aucune ne contenait d’amines aromatiques.
- Cartouches d’encre Migros (bleu roi)
- Grandes cartouches Waterman (bleu)
- Cartouches Parker Quink (bleu roi)
- Cartouches Pelikan GTP/5 (bleu roi)
- Cartouches Lamy T10 (bleu)