Au fond du canyon, la Torneresse bouillonne avec fureur. Debout sur un rocher deux mètres plus haut, René Pernet donne ses instructions: «Sautez précisément là, ni à droite, ni à gauche, car il y a des cailloux. Si vous ne le sentez pas, descendez à côté. J’y vais en premier, regardez.» Le guide de Rivières & Aventures balance son sac contenant corde, boîte étanche avec Natel et trousse de premiers secours, puis se lance dans le vide. Cent mètres au-dessus, accoudée à la glissière de la route des Mosses, une autre guide nous observe. Une précaution supplémentaire dont les «canyoneurs» (un groupe de jeunes Hollandais et l’auteur de ces lignes) n’ont pour la plupart pas conscience, concentrés sur le saut à faire.
Sans trop d’appréhension: la descente des «gorges du Pissot», à quelques pas du village des Moulins, ne nécessite aucun maniement de corde. En fait, l’adrénaline ne se manifeste guère plus qu’au moment de sauter d’un banal plongeoir de piscine. Quoi, le canyoning n’est-il pas un sport «extrême», réservé aux amateurs de grand frisson, une aventure téméraire dont la tragédie d’Interlaken a révélé les dangers?
Moins de technique
Membre fondateur de Rivières & Aventures, première société à avoir proposé du canyoning en Suisse il y a bientôt dix ans, Philippe Sublet, aujourd’hui directeur de l’Office du tourisme de Château-d’Œx, sourit à la question: «Nous
développons un canyoning convivial, loin du concept de ”sport extrême”. Plutôt que de ”canyoning”, parlons de ”randonnée aquatique”! Nous avons renoncé totalement aux parcours nécessitant l’emploi d’une corde. Cela entraîne un gain de sécurité: moins de technique, moins de temps au fond du canyon.»
Sécurité: le mot est lâché, autour duquel la controverse, depuis les 21 morts du Saxetenbach, ne fait que commencer. Mi-août, l’Association des guides de montagne de Suisse a lancé le débat: faut-il réglementer les sociétés de canyoning, aujourd’hui soumises à la seule obligation de s’inscrire au Registre du commerce? «Si réglementation il y a, elle doit émaner des professionnels de la rivière et regrouper toutes les activités sportives de rivière, estime Philippe Sublet. Mais on n’aboutira jamais au risque zéro.»
Formation essentielle
Bien sûr, la formation des guides de canyoning est essentielle. Formés par des guides français au bénéfice d’un brevet d’Etat, les accompagnateurs de Rivières & Aventures rafraîchissent chaque année leurs connaissances durant plusieurs semaines avant de se charger de clients. Et suivent également un cours de premiers secours reconnu par la Croix-Rouge suisse.
Mais alors, si une réglementation fédérale n’est pas
la panacée, le choix d’un canyoning moins casse-cou est-il le seul moyen de garantir la sécurité? «Faire confiance à des sociétés locales, connaissant extrêmement bien le milieu naturel, ses caractéristiques et sa météo en est un autre», analyse Philippe Sublet. «Et responsabiliser les clients, évaluer leurs capacités et les en rendre conscients, poursuit René Pernet. Lorsqu’un client paraît peu sûr, d’entente avec lui, on lui fixe un objectif, par exemple un petit segment du parcours. Le cas échéant, il remontera à pied...»
Directeur de l’Office du tourisme et guide de canyoning touchent du bois: «C’est vrai, ces principes nous ont sans doute permis d’éviter des accidents graves. Mais une rivière présente des risques inhérents. Pensez qu’il y a toujours un maître-nageur au bord d’une piscine, plan d’eau tempérée et sans courant Et malgré tout, il y a chaque année des incidents. Alors, pour une rivière, froide, rapide et en terrain accidenté...» Les statistiques des noyades en rivière viennent combler les points de suspension: chaque année, elles représentent près du double des accidents survenus dans les lacs. Des chiffres que l’accident d’Interlaken feront malheureusement exploser cette année.
Blaise Guignard
AVANT DE SE LANCER
Dix conseils de base
• Ne pas partir en fin d’après-midi.
• Ne pas partir si le temps est menaçant ou si du mauvais temps est annoncé.
• Manger suffisamment avant le départ.
• S’équiper de bonnes chaussures.
• S’assurer d’avoir une combinaison isolante complète (combinaison + veste + chaussons), en bon état et adaptée à sa taille.
• Ne pas se surestimer: choisir un parcours adapté à sa condition physique et à son expérience.
• Suivre attentivement les indications fournies par le guide, quitte à se les faire répéter.
• Ne pas jouer les héros: signaler tout malaise ou tout incident, même bénin (coupure, chute, torsion de cheville).
• Ne pas se lancer tout seul dans une rivière ou un canyon. Toujours s’adresser à une compagnie de canyoning installée dans la région du site exploité et bénéficiant d’une expérience directe des lieux.
• Faut-il vraiment le préciser? Renoncer à tenter l’expérience du canyoning si l’on ne se sent pas à l’aise dans l’élément liquide...