Ils ne boivent, ni ne fument et ont presque tous achevé des études universitaires. La plupart n’ont qu’une idée: faire carrière dans le cinéma. Mais en attendant de toucher le cachet de star, ils gagnent leur vie en vendant leur sperme, pour 35 à 50 dollars le flacon. Tout cela est expliqué sans fard sur le site Internet «Fertility Option», une banque de sperme située à Gardengrove, en Californie.
En Suisse, les femmes célibataires n’ont pas le droit de recourir aux banques de sperme. La loi réserve en effet cette possibilité aux personnes mariées et vivant en commun. Un restriction contestée par certaines femmes, arguant que – naturellement – elles peuvent très bien être célibataires et enceintes.
Grâce à Internet, il semble qu’elles puissent désormais contourner la loi. C’est ce que j’ai voulu confirmer. Pour le compte de Puls-Tip (réd.: partenaire alémanique de Bon à Savoir pour les questions de santé), je me suis glissée dans la peau d’une célibataire homosexuelle et j’ai contacté deux sociétés: la «Banque de sperme de Californie» et «Fertility Options».
Tout savoir
Pour consulter le catalogue de Fertility Options, j’ai déjà dû débourser 145 dollars. Il m’a fallu, en outre, remplir un formulaire de neuf pages. La société veut tout savoir: couleur des cheveux, de la peau et des yeux, orientation sexuelle, race, origine ethnique, etc.
Fertility Options se vante de ne procurer que des donneurs irréprochables: «Nous examinons avec des critères sévères l’histoire médicale et génétique de la famille sur trois générations.» En outre, la loi californienne exige que les donneurs passent une demi-douzaine d’examens médicaux: du sida à l’hépatite, tout est passé au peigne fin.
Malgré toutes ces précautions, Fertility Options évoque «la possible naissance d’un enfant mal formé, d’une tare héréditaire imprévisible ou d’autres suites malencontreuses». La société demande donc, dans un contrat de trois pages, de la dégager de toute responsabilité en cas de pareils «dommages». Enfin, j’ai dû accepter que l’identité du donneur me soit uniquement transmise avec son autorisation expresse.
J’avais ensuite la possibilité de choisir le sexe de mon futur enfant. Contre un supplément de 180 dollars, la société sépare le sperme qui donnera une fille de celui qui donnera un garçon. Cependant, là encore, Fertility Options ne garantit pas le résultat.
La plupart des donneurs déclarent dans le catalogue qu’ils veulent, à travers leur «don», rendre heureux d’autres êtres humains. Sauf Steve. Sa motivation est purement financière. Cela m’a paru honnête et je me suis donc décidé pour lui.
Frustration
J’ai alors téléphoné en Californie pour commander son sperme. L’employée, feuilletant un catalogue, m’a répondu: «Désolée, la plupart des hommes sont congelés, mais Steve est malheureusement frais ...» Or, le sperme frais ne peut pas être livré dans le monde entier. Naturellement, je pourrais quand même avoir Steve. Mais son sperme devrait être congelé à mes frais. Une opération qui me coûterait un supplément de 2500 dollars ...
L’employée m’envoie donc une liste des «congelés». L’offre s’est fortement rétrécie: il ne reste plus que 14 hommes. Je choisis Scott. Pas très sympathique, mais il présente bien et il est le père d’une «merveilleuse fille en parfaite santé».
Une semaine plus tard, je reçois un courrier de Fertility Options: «Cela risque d’être très frustrant pour vous, mais Scott n’est plus disponible dans notre stock». Et avant de passer commande, je dois encore remplir, conjointement avec mon médecin, un formulaire de six pages. Frais inhérents: 75 dollars. J’en ai assez et décide de passer à la Banque de sperme de Californie.
Là, pas de frais pour accéder au catalogue. Je repère le numéro 1179: il est d’origine italienne, tchèque et irlandaise, la couleur de sa peau est «moyenne», ses cheveux sont «bruns et ondulés». Sur demande, la banque me faxe un profil plus précis. 1179 est avocat et ses hobbies sont l’informatique et la musique. L’état de santé familial des trois générations ascendantes est également décrit. Mais pas de photos.
La banque ne veut rien savoir de moi, sauf la date à laquelle le sperme sera utilisé et l’adresse où la livrer par colis postal. Pour la commande, j’ai besoin de la signature d’un médecin, d’une sage-femme ou d’une infirmière qui certifie qu’il fera ou surveillera l’insémination. Les frais de la demande s’élèvent à 50 dollars. Un médecin de ma connaissance m’a donné sans autre sa signature. J’ai ensuite passé commande par fax.
Douane sans problème
Pour importer du sperme en Suisse, il faut une autorisation de l’Office fédéral de la santé. Et pour l’obtenir, il faut à nouveau passer par un médecin, seul autorisé à procéder à une insémination. Je décide de passer outre et de me passer d’autorisation. A la douane, pas de problème! Je prends sans autre livraison du paquet au jour et à l’heure prévus. Le flacon de 3 cm est stocké dans un gros réservoir de 1,50 m à une température de –197 degrés celsius. L’envoi est revenu à 375 dollars: 230 pour le transport et 145 pour le flacon de sperme. Cela représente 570 fr. Il y avait également des instructions pour s’inséminer sans aide extérieure:
- Laissez le flacon décongeler pendant environ 15 min. à température ambiante.
- Aspirez le sperme avec la seringue fournie.
- Allongez-vous, les hanches surélevées. Introduisez la seringue dans le vagin et appliquez lentement son contenu.
- Restez une demi-heure dans cette position.
Puls-Tip a fait analyser l’échantillon par un laboratoire: le sperme du numéro 1179 était de bonne qualité, même s’il avait était congelé en 1995 déjà.
Lisa Stadler
AVIS D’EXPERT
Objection médicale
«Où est l’enfant dans un tel projet?» En lisant le récit de notre collègue, le Dr Marc Germond, responsable de l’unité de stérilité du CHUV, évoque d’abord des arguments éthiques: «L’insémination avec sperme de donneur ne peut être entreprise sans que le couple y ait sérieusement réfléchi. Elle nécessite une maturité que n’auront pas forcément les personnes pianotant sur leur ordinateur et commandant un enfant comme n’importe quel objet.»
Sur le plan médical, le spécialiste reste aussi sceptique. «Vous me dites que le sperme était de qualité, mais en sera-t-il toujours ainsi? Et le délai de carence a-t-il été respecté (réd.: 3 à 6 mois après la congélation du sperme, on effectue un nouvel examen pour savoir si le donneur n’est pas atteint d’une maladie qui n’était pas encore déclarée au moment du don)?»
Concernant les taux de réussite, le Dr Germond rappelle que, lorsque le sperme est bien préparé (les centres d’insémination procèdent à un traitement entre la décongélation et l’insémination), ils sont égaux à ceux de la nature, soit entre 10 et 25% par cycle. A moins d’un sacré coup de chance, il faudra donc plusieurs inséminations pour tomber enceinte.
Ce qui amène à la question du prix: via Internet, chaque insémination reviendra à 550 dollars (env. 820 fr.) au moins. A Lausanne, seuls les frais de traitement du sperme sont facturés (75 fr. par dose). Plus, bien sûr, le geste technique de l’insémination, obligatoirement fait par un médecin reconnu (150 fr.).
C. C.