Le commerce des noms de domaine Internet va bon train. Certains réservent à tour de bras les noms au suffixe .ch. Objectif de ce domain grabbing (de l’anglais to grab = saisir): les revendre au plus offrant ou profiter de leur notoriété (pour les marques ou entreprises de renom) pour attirer les surfeurs sur ses propres pages Web. C’était aussi le but des responsables de Websidestory, un groupe d’étudiants désireux de se lancer dans le développement de sites Internet. Ils ont enregistré à leur compte plusieurs noms, dont mcdonald.ch, misterminit.ch, paramedical.ch et pioneer.ch. Enregistrement effectué chez Switch (www.switch.ch), l’organisme responsable de l’attribution et de la gestion des noms de domaines suisses et du Liechtenstein (extension .ch et .li).
«Quelques semaines plus tard, Switch m’a envoyé un e-mail, notant que Pioneer était une marque et qu’on nous retirait l’adresse, raconte l’un des étudiants. Au téléphone, Michel Sommer, un collaborateur de Switch m’a expliqué qu’à cause d’un problème technique, six personnes avaient pu enregistrer ce nom en même temps, mais qu’il avait été attribué au premier qui l’avait fait.» Soit à la société Sacom à Bienne, distributeur officiel de Pioneer en Suisse. Contacté par Bon à Savoir, Michel Sommer explique que cet incident était dû au fait que Sacom avait d’abord omis de confirmer l’enregistrement du nom.
Mais notre jeune lecteur ne peut s’empêcher de se demander si Switch n’aurait pas prétexté ce problème par intérêt financier propre. La réponse est non, car l’institution ne revend pas d’adresses. Et prélève d’ailleurs les mêmes taxes (80 fr. pour l’enregistrement et 48 fr. de taxe annuelle) et applique les mêmes règles à chaque inscription, qu’elle provienne d’entreprises ou de particuliers.
Premier servi
En principe, un nom de domaine revient au premier qui l’enregistre. Switch ne contrôle pas s’il peut y prétendre légitimement et ne peut intervenir en cas de litige. Mais elle peut adresser des avertissements en cas de conflit de dénomination probable. Le requérant doit alors confirmer sa demande pour que l’enregistrement devienne effectif.
Switch lance ces avertissements lors de l’enregistrement de noms connus (marques, entreprises, etc.), ou de noms de communes politiques suisses (par exemple lausanne.ch), réservés aux seules municipalités. Un droit dont les autorités cantonales, elles, ne bénéficient que pour les abréviations (fr.ch, vd.ch, zh.ch, etc.), mais pas pour le canton écrit en toutes lettres. Ainsi tessin.ch a été attribué à une personne privée et vaud.ch à des entreprises.
Les noms de domaine sont aussi soumis au droit suisse (protection des marques, concurrence déloyale, etc.). A moins d’un arrangement à l’amiable, il faut donc s’adresser à un tribunal en cas de litige. Les différends concernant des noms de domaine de premier niveau (.com, .org, etc.) sont quant à eux réglés par le Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (http://
arbiter.wipo.int) à Genève.
Jurisprudence exemplaire
En Suisse, la jurisprudence est encore rare. Mais le Tribunal fédéral vient de prononcer un arrêt concernant un nom de domaine (4C.
450/1999 du 2.5.2000) et de débouter la société de développement de sites Internet Kaformatik SA. Celle-ci avait enregistré à son compte le domaine www.berneroberland.ch. Sur plainte de l’Association du tourisme de l’Oberland bernois, le tribunal cantonal du commerce de Berne avait condamné la société à restituer ce nom, en invoquant la loi sur la concurrence déloyale. Jugement confirmé par le TF. Motif: le public associe l’Oberland bernois à une région déterminée et à une offre touristique. Le nom de domaine doit donc revenir en priorité à un organisme de promotion de la région, et non à une société d’informatique, même si elle a réservé le domaine en premier. Pour l’un des juges, «il faut lutter contre les parasites qui accaparent des noms de lieu ou de manifestation».
Ellen Weigand