On attribue l’invention de la vis à Archimède, qui l’utilisera pour construire une pompe à eau (principe de la vis sans fin), mais il faudra attendre jusqu’à la Renaissance pour voir cette géniale trouvaille adaptée comme élément de fixation.
La difficulté de sa fabrication avec les moyens artisanaux de l’époque en limitera cependant l’usage, et ce n’est qu’au XIXe siècle que son utilisation se généralisera suite à la mise au point de méthodes automatisées de production.
Les grands modèles ont des têtes à 4 ou 6 pans (appelés boulons), les plus petits des têtes fendues. Inconvénients de ces dernières: le tournevis, mal guidé, dérape et peut provoquer des blessures. Elles sont de plus mal adaptées à l’usage des visseuses et autres moyens robotisés d’assemblage. Le milieu du siècle passé voit apparaître la vis cruciforme, brevetée par l’américain Henry F. Phillips (sans rapport avec la célèbre fabricant d’appareils) qui remédie plus ou moins à ces défauts. Puis apparaît la vis Imbus, à 6 pans creux, et plus récemment la Torx, en étoile creuse.
Objectif inversé
Jusque-là, ces perfectionnements servaient à améliorer l’efficacité de la vis, en rendre le montage et le démontage plus aisés. Mais d’innombrables nouvelles formes de vis apparaissent à la fin du XXe siècle, dont le but est exactement inverse: rendre toute intervention plus difficile, voire impossible. On découvre ainsi à présent dans les petits appareils et les jouets des vis à tête creuse triangulaire, en étoile à 3 ou 5 branches, en forme de fleur à 6 pétales, en ovale, ou dont la fente est barrée d’une «bavure» empêchant l’insertion du tournevis.
Bien évidemment, ces œuvres d’art ne correspondent à aucun standard industriel, et les tournevis adaptés sont souvent introuvables dans le commerce.
Du fer à repasser à la machine à café
Une petite visite au rayon fer à repasser d’un magasin spécialisé est édifiante: l’échange du cordon secteur à l’aide de la caisse à outils domestique standard n’est possible que sur trois modèles (de marque Jura et Philips) parmi les 14 exposés. Le modèle Tefal Virtuose, premier d’un test de Bon à Savoir (10/03), est équipé de vis Torx dites «de sécurité»(!) munies d’un petit téton central empêchant l’insertion d’un embout Torx traditionnel. On peut cependant se procurer, dans les bonnes quincailleries, des tournevis adaptés – un petit investissement qui va se révéler bientôt incontournable pour les bricoleurs au vu du développement de ce type de visserie.
Le modèle que l’on trouve sur nombre de machines à café Nespresso est lui plus exotique: une tête de vis paraissant ronde au premier abord, mais en fait légèrement ovale. Le service après-vente de cette marque vous fournira l’embout nécessaire à leur démontage moyennant la somme de 120 fr. (ce n’est après tout guère plus que le prix que vous payez pour un kilo de café en capsules…). La méthode plus économique pour obtenir l’embout consiste à percer le bout d’un boulon de 6 mm avec une mèche de 3,5 mm, puis de l’écraser délicatement au marteau pour en ovaliser le trou.
Les marguerites du grille-pain
Les têtes de vis en forme de marguerite en relief sont, entre autres, utilisées sur de nombreux modèles de grille-pain. Petite anecdote: la maison Kenwood, qui commercialise des toasteurs équipés de telles vis, est à même d’en fournir les pièces de rechange, mais pas l’outil nécessaire à leur démontage. Leur service après-vente (par ailleurs excellent) propose donc l’échange standard de l’appareil en cas de demande de réparation! On pourra cependant fabriquer rapidement l’outil soi-même en sacrifiant un tournevis N° 3: le détremper en en chauffant la pointe quelques minutes sur la flamme du réchaud à fondue (l’acier sera ainsi rendu moins dur et pourra être travaillé); puis pratiquer une encoche avec une petite lime carrée de manière à ne laisser de chaque côté que deux minces ergots pouvant mordre dans les encoches latérales de la vis.
En «adaptant» des tournevis classiques avec cette méthode, et avec un peu de patience, on pourra fabriquer des outils adaptés aux autres variantes d’obstacles que les constructeurs nous imposent.
Sous couvert d’arguments sécuritaires (éviter le démontage des appareils par des bricoleurs irresponsables), ils cherchent à freiner l’entretien et la réparation de leurs produits afin d’en accélérer le renouvellement. Il n’existe en effet aucune directive officielle préconisant l’emploi de tels artifices «sécuritaires».
D’ailleurs, bon nombre d’autres équipements et appareils, qu’il est beaucoup plus dangereux de manipuler sans les connaissances nécessaires (p.ex. motocyclette, lave-linge, tronçonneuse) sont eux parfaitement démontables à l’aide de l’outillage standard.
Laurent Zahn