Le constat est affligeant: en Suisse, 17% des enfants âgés de 11 ans recourent aux médicaments pour mieux dormir. Un gosse sur six! C’est trois fois plus qu’en France et dix fois plus qu’en Autriche. Telle est l’une des informations tirées d’une récente étude, menée pour le compte de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans 26 pays européens.
Et impossible de minimiser les faits en prétextant un échantillonnage trop faible. Les responsables de l’étude ont en effet interrogé 17 000 écoliers suisses. Lorsqu’ils leur ont demandé s’ils avaient, au moins une fois par semaine, des troubles du sommeil, presque la moitié des jeunes filles de 13 ans ont répondu affirmativement. Dès lors, on peut supposer que le recours aux somnifères n’est pas occasionnel, mais régulier.
Les choses ne s’arrangent guère avec les analgésiques. La moitié des écolières de 15 ans interrogées en avait consommé au moins un dans le mois précédant l’étude. Un tiers d’entre elles avait aussi avalé au moins un médicament contre les maux d’estomac. Un rythme, lui aussi, nettement supérieur à la moyenne européenne pour des enfants du même âge.
Analgésiques
«Un phénomène inquiétant», admet Beat Zemp, président de l’Association faîtière des enseignantes et des enseignants suisses. Mais lorsqu’on cherche à comprendre cette dangereuse dérive, personne ne veut se mouiller: on préfère mettre la faute sur l’inévitable société des loisirs, source de tous les maux du XXe siècle...
Les auteurs de l’étude sont pourtant plus précis et évoquent clairement le stress engendré par l’école. Faut-il le considérer comme un tabou? Le président de la Conférence des directeurs d’écoles de commerce suisses, Beat Gilgen, estime le sujet trop brûlant pour se prononcer officiellement: d’accord pour s’exprimer en son nom, mais pas comme président de la Conférence. Et le secrétariat général de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique n’a pas voulu confronter son président, Peter Schmid, à nos questions. Seul commentaire de Cornelia Oertle, du groupe de travail pour la promotion de la santé: «En ce moment, nous avons d’autres priorités...»
Visiblement, tout le monde n’a pas le même sens des priorités. Car lorsque les auteurs de l’étude demandent aux écoliers ce qui leur pèse le plus, ils répondent spontanément: l’école, les mauvaises notes et les devoirs scolaires! Le professeur Klaus Hurrelman, qui mène en Allemagne des recherches approfondies sur la jeunesse, est catégorique: la consommation de médicaments est étroitement liée aux exigences scolaires. Si un enfant ne remplit pas les attentes de ses parents, ou s’il doit redoubler, il tombera beaucoup plus facilement malade, ce qui provoquera autant de maux de tête et d’estomac ou des faiblesses de concentration. Et il prendra donc de plus en plus de médicaments.
La preuve par les chiffres: en Allemagne, il y avait, en 1986, 10% des jeunes entre 13 et 15 ans qui consommaient au moins une fois par semaine des médicaments contre le refroidissement ou la grippe. Dix ans plus tard, ce chiffre a déjà doublé. Mais, durant cette même période, celui des enfants consommant des stimulants a carrément décuplé!
Parents fautifs
Un question reste pourtant en suspens. Où donc ces enfants se procurent-ils des médicaments qui ne sont souvent vendus que sous ordonnance? Parfois directement auprès des parents, répondent les auteurs de l’étude européenne. Faut-il vraiment s’en étonner? En Suisse, 40 000 personnes avalent quotidiennement au moins un somnifère, un antidouleur ou un stimulant. Et 100 000 adultes sont d’ores et déjà considérés comme «dépendants».