Acheter du bordeaux près de deux ans avant sa mise en bouteille? C’est ce qu’on appelle la vente en primeur. Tout commence au mois d’avril quand des professionnels (négociants, critiques, sommeliers, etc.) viennent déguster les nectars de la dernière vendange. Nectars qui sont loin d’être aboutis, puisqu’ils n’ont alors passé que quatre mois en fût sur un élevage qui dure, au bas mot, dix-huit mois.
C’est pourtant sur cette base que les spécialistes viennent juger les vins d’environ 300 châteaux sur les 8500 que compte le vignoble bordelais. Leur appréciation — surtout celle des grands guides — est très attendue, puisqu’elle influence la fixation des prix (lire encadré). Actuellement vendu en primeur, le millésime 2016 est qualifié d’exceptionnel par les spécialistes. Les tarifs s’en ressentent, avec une augmentation moyenne d’un peu plus de 12% par rapport à 2015, selon le Syndicat des courtiers en vins de Bordeaux.
Millésime 2016 adulé
En Suisse romande, les marchands spécialisés sont nombreux à proposer des souscriptions de bordeaux en primeur. Nous en avons retenu sept qui disposent d’une liste de 100 crus au moins. Et, pour comparer les prix, nous avons sélectionné deux classiques abordables, le Château Chasse-Spleen (Moulis-en-Médoc) et le Château Sociando-Mallet (Haut-Médoc) ainsi qu’un St-Emilion Grand Cru plus exclusif, le Château Pavie-Macquin.
Nous avons alors simulé quatre scénarios: trois commandes séparées pour chaque vin (1, 2, 3) et une groupée (4) en ajoutant à chaque fois les frais de livraison. L’écart le plus impressionnant a été relevé pour 12 bouteilles de Château Sociando-Mallet facturées 82.80 fr. de plus (+21,5%) chez Vogel Vins qu’à La Vinothèque de la Charrière à La Chaux-de-Fonds! Pour les autres achats, les différences sont moins marquées puisqu’elles grimpent jusqu’à 3,5% pour le Château Chasse-Spleen, 7,7% pour le Château Pavie-Macquin et 7,3% pour l’achat groupé.
Gare à la livraison!
Hormis le Château Sociando-Mallet — spécialement attractif à la Vinothèque de la Charrière — les tarifs à la bouteille sont très proches. Ce sont donc les frais de livraison qui pèsent dans la balance. De quoi expliquer pourquoi Arvi, avec des ponctions de 27 fr. pour 12 bouteilles et de 70.20 fr. pour la commande groupée, est le moins bien placé dans trois des quatre scénarios.
A partir d’un certain seuil – qui dépend du nombre de bouteilles ou du montant de la commande –, la grande majorité des sociétés font grâce des frais de livraison. C'est le cas, dans notre comparatif, de Vinum, de Le Cave SA et de Vogel Vins. De son côté, Arvi ne fait aucun cadeau sur ce point en exigeant 70.20 fr. pour la commande groupée de notre simulation! Globalement, Alloboissons est le moins gourmand avec des tarifs – vin et livraison – qui sont à chaque fois parmi les plus bas. Ce n’est donc pas un hasard s’il caracole en tête à deux reprises.
Yves-Noël Grin
Prix: spéculation sauvage
D’une année à l’autre, le tarif des primeurs peut subir des variations stratosphériques. Les très beaux millésimes 2009 et 2010 ont, par exemple, été vendus trois fois plus cher que le 2008! Un écart abyssal que la qualité ne suffit pas à justifier. Il reflète la spéculation qui agite le marché au détriment des vrais amateurs de vin.
Le mécanisme des bordeaux en primeur est d’ailleurs de plus en plus décrié. Même certains domaines prestigieux, comme Château Latour ont décidé d’y renoncer. Pour le consommateur, ce système présente plusieurs risques. D’une part, il doit passer commande sans avoir pu déguster les crus. D’autre part, il arrive que de petits millésimes débarquent sur leur marché à des prix inférieurs à ceux qui étaient pratiqués en primeur.