Son nom est fictif, mais son cas bien réel. Mme Dupond* habite en Suisse romande. Selon son psychothérapeute, le docteur Simon*: «Elle présente le diagnostic psychiatrique d’état anxieux et dépressif dans le contexte d’un trouble grave de la personnalité. Elle est également dépendante à l’alcool et aux benzodiazépines.» Mme Dupond n’a pas eu ce que l’on appelle une vie facile: «Sa décompensation anxieuse et dépressive est en rapport avec une difficulté d’adaptation après un cancer du sein. Son état est également lié à des difficultés familiales et conjugales, dues en grande partie à la grave pathologie schizophrénique de son mari.»
Doses appropriées
Face à ce diagnostic, le traitement médicamenteux est plutôt lourd: cinq médicaments pour onze comprimés quotidiens. Des doses appropriées, selon le docteur Simon, dont la diminu-
tion ferait courir le risque «d’une rechute alcoolique ayant comme conséquence probable la nécessité d’une hospitalisation psychiatrique».
Pourtant, malgré la pertinennence du traitement, le Grou-pe Mutuel, caisse maladie de Mme Dupond, a refusé de rembourser une partie des médi-
caments sur son assurance obligatoire. Surpris, le docteur Simon a écrit au médecin-conseil de la caisse pour demander
une prise en charge entière, soulignant que le traitement était totalement justifié et aidait sa patiente à ne pas aller plus mal.
Limites strictes
Cette requête a été rejetée. L’assurance a évoqué la Liste des spécialités (LS) émise par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Ce document restreint effectivement le remboursement de certains médicaments: «De telles limitations constituent des instruments de contrôle de l’économicité et permettent d’éviter l’utilisation abusive de certains médicaments afin d’écarter les ris-
ques de dépendance», précise l’OFSP. C’est ainsi que, lorsque les prescriptions dépassent les limites de la LS, les surplus ne sont pas pris en charge par l’assurance obligatoire! Et qu’importe si le thérapeute estime que les doses sont appropriées. «En Suisse, ce n’est pas le médecin qui décide, mais bien les bases légales, en l’occurrence la liste des spécialités. Et les assureurs doivent s’y conformer. Il n’y a pas de place pour des prestations à bien plaire», résume Rudolf Luginbühl, ombudsman de l’assurance maladie.
Dans le cas précis, l’assurance disposait toutefois d’une petite marge de manœuvre qui l’aurait autorisée à rembourser un dépassement momentané de la LS. Mais elle a refusé d’entrer en matière, estimant que les règles sont strictes et claires. «Il faut, notamment, avoir l’accord préalable du médecin-conseil de la caisse maladie, ainsi qu’une garantie de paiement de l’assureur. En l’espèce, ni l’un ni l’autre n’a été délivré avant le début du traitement», précise Yves Seydoux, responsable de la communication du Groupe Mutuel. L’assureur souligne également que selon les directives de l’OFSP, le médecin était tenu d’informer explicitement sa patiente que la prescription de certains médicaments était soumise à une limitation.
Médecine à deux vitesses
Dans ses déboires, Mme Dupond a toutefois eu la chance d’avoir contracté, chez le même assureur, une complémentaire qui prévoit une prise en charge à 70% des médicaments pour lesquels le traitement est médicalement nécessaire. L’assurance a donc transféré le surplus des coûts sur la complémentaire, ce qui montre d’ailleurs que le médecin-conseil a reconnu le caractère «médicalement nécessaire» du traitement. Mais sans cette assurance, la patiente aurait dû payer le surplus de sa poche. Une situation qui est loin de constituer une exception. Et si les parts non remboursées des traitements sont de plus en plus lourdes à assumer financièrement pour la classe moyenne, elles deviennent ingérables pour les personnes en situation précaire.
S. Sautebin
(*Noms connus de la rédaction.)