Il existe des milliers de médicaments vendus en Suisse, presque tous à des prix variables selon le dosage de la substance active qu’ils contiennent. Exemple: 30 gélules de 100 mg de l’anti-inflammatoire Celebrex reviennent à 31,30 fr., alors que les mêmes gélules de 200 mg coûtent 49,40 fr. (+ 58%)
Mais depuis fin 1997, certains produits (cinq seulement à ce jour*) sont vendus à un prix restant invariable quelle que soit la dose de substance active. Une méthode appelée flat pricing. «Une méthode scandaleuse, s’exclame le pharmacien genevois Christian Cordt-Moller. Je refuse d’être son complice et dénonce vigoureusement une pseudo-simplification qui ne profite qu’aux producteurs.»
70% de différence
La maison MSD (Merck Sharp & Dohme-Chibret AG) est à l’origine de cette saine colère. Au début de l’année, elle a fait parvenir une documentation à l’ensemble des pharmaciens suisses, les informant que ses nouveaux comprimés contre l’asthme bronchique (Singulair) seraient proposés au prix unique de 92,20 fr. la boîte de 28 unités, qu’il s’agisse de la formule enfants (5 mg) ou adultes (10 mg). Or, selon la méthode «classique» (fixation du prix selon le dosage), la boîte pour enfants reviendrait à 54,40 fr., et celle pour adultes à 92,20 fr., soit une différence de 70%!
Dans sa documentation, MSD souligne logiquement que la marge du pharmacien est augmentée de 10,20 fr. pour la posologie «enfants», ce qui a le don de faire bouillir Christian Cordt-Moller: «En avançant des arguments bassement mercantiles, on essaie de s’assurer les bonnes grâces et le silence des professionnels de la santé.» Et comme ce médicament est remboursé par les caisses maladie, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a donc dû donner son accord à une telle pratique: «Quelle hypocrisie lorsqu’on sait que cet office est censé réguler les coûts de la santé!» commente encore le pharmacien genevois.
Du côté de l’OFAS, on
ne nie ni l’innovation, ni
de l’avoir approuvée. «Cette nouvelle méthode nous semble admissible pour des produits dont le dosage va forcément varier au fur et à mesure de la thérapie, explique Reinhardt Kämpf, chef de la section des médicaments. C’est le cas, par exemple, des remèdes pour le traitement de la démence de type Alzheimer dans ses formes légères à modérées.»
Peut-être bien, mais alors pourquoi avoir accepté que les prix soient ajustés sur les tarifs les plus élevés et ne pas avoir exigé un prix moyen entre le dosage le meilleur marché et le plus cher? «Nous nous fondons sur la formule la plus vendue, en Suisse ou dans les pays voisins (réd.: Allemagne surtout) lorsque le produit est nouveau, répond Reinhardt Kämpf. Dans les remèdes contre l’hypertension par exemple, 80% des patients utilisent des dosages de 5 mg; nous admettrions donc que le prix de ce dosage soit appliqué pour les dosages de 2,5 et 10 mg.»
Dangereux antécédent
«L’argument ne tient pas, réplique Christian Cordt-Moller. Le flat pricing est inadmissible pour toutes les thérapies, indépendamment du type de maladie. En fait, ce que le pharmacien craint avant tout, c’est la généralisation de la méthode. «C’est exclu, tente de rassurer Reinhardt Kämpf. Il n’est pas question d’introduire le flat pricing pour les antibiotiques par exemple.»
Autre son de cloche auprès du producteur: «Cette méthode est la meilleure, assure Lorenz Borer, responsable du produit Singulair chez MSD. Le coût de la substance active est en effet minime par rapport aux frais de recherche et de fonctionnement. En fixant un prix unique, tout est plus clair, car ce prix reste le même quel que soit le dosage. Ainsi, si demain nous devons produire des comprimés de Singulair de 10 mg, ils seront vendus au même prix que ceux de 5 et de 2,5 mg. Et il en sera ainsi pour tous les pays européens, puisqu’en euros, ce médicament vaut le même prix où qu’il soit vendu. Nous espérons donc bel et bien pouvoir généraliser cette nouvelle façon de fixer les prix à tous nos nouveaux produits.»
Les craintes de Christian Cordt-Moller sont donc totalement fondées: le flat pricing se propage sournoisement. «Pourquoi le Celebrex, conclut le pharmacien, serait-il vendu à un prix différencié, alors que son produit concurrent, le Vioxx, est vendu à un prix fixe? D’ici peu, il sera vraisemblablement ramené à son prix le plus haut! Et il en ira ainsi de tous les futurs médicaments. L’OFAS et les caisses maladie en sont-elles conscientes?»
Christian Chevrolet
*Exelon (Novartis), Aricept (Pfizer), Cognex (Parke-Davis), Singulair et Vioxx (MSD)