La baisse de l’euro a fâché les consommateurs helvétiques l’été dernier: pourquoi le nouveau cours n’a-t-il pas été répercuté en Suisse? Une question lancinante dans les librairies. Les prix étant affichés en euros sur les jaquettes, en vertu de la loi française, la cherté des tarifs helvétiques convertis en francs sautait d’autant plus aux yeux.
Dans ce contexte, l’idée de bloquer toute concurrence, ainsi que le propose la loi soumise au référendum le 11 mars prochain, semble difficilement acceptable. Les libraires indépendants affirment pourtant que c’est leur seule chance de survie face aux grands groupes qui cassent les prix. La concurrence s’exercera au niveau tant du choix que du conseil.
1 - Le marché du livre est-il libre aujourd’hui?
Oui et non.
Oui, parce que, contrairement à leurs voisins français, les vendeurs de livres en Suisse romande fixent librement leurs tarifs depuis les années 1990. Ce qui permet aux grandes surfaces de proposer les best-sellers à un prix très avantageux. Rien n’empêcherait les librairies de faire de même, si ce n’est qu’elles vendraient alors à perte: les marges varient en effet entre 30% et 40%, ce qui, comparé à d’autres secteurs (vêtements, accessoires), est modeste.
Non, parce que, pour s’approvisionner sur le marché français, les libraires sont soumis aux intermédiaires. Comme il n’y en a qu’un par éditeur, il n’y a donc pas vraiment de concurrence*. La Commission de la concurrence (Comco) avait du reste ouvert une enquête en 2008, flairant une position dominante. Elle l’a suspendue, ensuite, pour attendre le résultat de la votation.
2 - Que dit la loi?
Pour mettre tout le monde à égalité, les éditeurs ou les importateurs fixeront un tarif unique pour chaque ouvrage. On estime que ce tarif ne devrait pas excéder de 20% l’équivalent du prix en euros. Les rabais de quantité restent possibles (entre 10% et 20%, selon le nombre d’exemplaires). Le libraire pourrait en outre accorder un rabais de 5% (fidélité, étudiants). Il appartiendra alors à Monsieur Prix de veiller à ce que les prix ne soient pas exagérés.
3 - Quel serait l’impact sur le prix du livre?
Selon les référendaires, le prix unique conduirait inévitablement à une hausse des tarifs en éliminant toute concurrence. Les libraires et les partisans de la loi affirment le contraire. Selon eux, les petits vendeurs regagneraient les parts de marché des best-sellers. Le nouveau prix unique ferait, en contrepartie, baisser le prix de vente du stock. Deux exemples leur donnent raison. En France (prix imposé), le livre n’a pas suivi l’évolution du coût de la vie. En Angleterre (prix libre), au contraire, les prix ont augmenté de 40% depuis 1995, dépassant largement l’inflation moyenne.
4 - Quel est le but du prix unique?
Pour les partisans de la loi, le livre n’est pas une marchandise comme les autres. Un bon libraire sait conseiller ses clients et dispose d’un fonds assez riche pour ne pas se limiter aux parutions de la rentrée littéraire, par exemple les petits tirages des éditeurs romands. Le prix unique est donc un acte culturel.
5 - Pourquoi un référendum?
Le prix unique a été âprement combattu par le PLR et l’UDC qui ont lancé le référendum. Ses auteurs, qui s’en prennent avant tout aux importateurs, estiment que les librairies bénéficient déjà d’un taux de TVA préférentiel (2,5%) et que Pro Helvetia soutient aussi suffisamment l’édition en Suisse. Selon eux, l’introduction d’un prix unique en France n’a pas empêché la disparition des petites librairies.
Claire Houriet Rime
Bonus web:Le mécanisme de diffusion des livres
ÉCLAIRAGE
Achats sur internet aussi visés
Au moment où la loi sur le prix unique du livre a été concoctée, les ouvrages électroniques (lire «Les liseuses, nouvelles stars de la littérature», BàS 1/2012) étaient encore de la musique d’avenir. Le texte ne s’applique donc pas à ce type de produit.
La question est sujette à controverse pour les achats d’éditions en papier sur internet. Selon les partisans de la loi, les commerçants en ligne, qui pratiquent aujourd’hui la parité avec les prix en euros, imposés par la législation française, seront tenus de respecter les tarifs fixés par la branche. S’ils ne le font pas, ils seront passibles d’une plainte civile. Les autorités fédérales doutent, de leur côté, de pouvoir influencer les sites étrangers.