Tout comme les musiciens et les agents de police, les récolteurs de fonds pour les œuvres d’entraide font partie du paysage urbain. Leurs méthodes vont de l’attente passive derrière un stand discret à l’attaque en règle du passant, documents et bagout à l’appui, sourire engageant en prime.
Cette dernière démarche (direct dialog en jargon de récolte de fonds) est celle de plusieurs organisations revendiquant un militantisme assez dynamique, comme Greenpeace, mais aussi de la digne institution qu’est Pro Infirmis, l’organisation suisse d’aide aux handicapés. En termes de rapport coût/bénéfice de la récolte de fonds, le direct dialog est intéressant – à la double condition que des professionnels s’en chargent, et que les donateurs consentent à une obole substantielle. C’est pourquoi ces organisations proposent volontiers aux donateurs potentiels de verser régulièrement et automatiquement leur don par le biais d’un système de recouvrement direct (LSV).
C’est ainsi que procède Pro Infirmis, par le biais des jeunes gens employés par Corris Marketing, une société zurichoise spécialisée dans la récolte de fonds sur le domaine public. La méthode est musclée – d’autant que les démarcheurs sont payés, pour 20% de leur rémunération, en fonction du résultat obtenu, soit le nombre de formulaires LSV signés.
Méthode approuvée
Musclée ne veut toutefois pas dire inacceptable – d’autant que la cause ainsi financée en vaut la peine. Le hic, c’est que Pro Infirmis est enregistrée auprès du Bureau central des œuvres de bienfaisance. Or, le «Zewo», comme on l’appelle, n’octroie son label qu’aux organisations qui respectent strictement certaines conditions. Au nombre desquelles figure clairement, en toutes lettres, l’interdiction de la collecte à domicile ou sur le domaine public «lorsque les dons collectés sont soumis au système de recouvrement direct».
Ayant eu vent de la méthode de Pro Infirmis par le biais d’une lectrice ainsi démarchée, le magazine alémanique K-Tipp a publié en septembre un article intitulé «Pro Infirmis contrevient aux lignes directrices du Zewo». Ce que réfute… le Zewo lui-même: «Le formulaire remis par Pro Infirmis et signé par le donateur mentionne explicite-
ment que l’engagement est révocable dans les 30 jours, et que chaque versement direct peut en outre être annulé sans formalités, affirme Jacqueline Augsburger, porte-parole du Bureau. Nos lignes directrices visent à protéger les donateurs. Tel qu’il est rédigé, nous considérons que le document de Pro Infirmis n’y déroge pas.»
L’esprit et la lettre
En clair, le formulaire LSV de Pro Infirmis déroge peut-être à la lettre, mais pas à l’esprit du règlement du Zewo. Celui-ci déclare pourtant que «la démarche (…) est illicite lorsque les dons collectés sont soumis au système de recouvrement direct. Seule la remise de documents relatifs au système de recouvrement direct est admise.»
Le Zewo serait-il laxiste? Peut-être pas volontairement. Mais l’interprétation large qu’il fait de ses propres directives suppose que les démarcheurs attirent l’attention des donateurs sur les conditions des engagements qu’ils prennent, ce qui n’est pas certain lorsqu’il s’agit de récolteurs de fonds payés au résultat.
Peu fair-play
Le Zewo passe en outre sur l’aspect peu fair-play de la méthode, qui place le donateur face à un «quitte ou double» cornélien: s’engager financièrement pour une durée indéterminée, ou refuser, au mépris de ses valeurs morales… le tout en pleine rue et sous l’œil du démarcheur. Ce qui représente rarement les meilleures circonstances pour évaluer son budget annuel. Blaise Guignard
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Encaissement direct: le pour et le contre
Responsable de la communication et de la récolte de fonds à Pro Infirmis, Mark Zumbühl est un adepte convaincu du recouvrement direct: «Chaque donateur tient à ce que son don soit utilisé de façon adéquate et responsable. Cela présuppose que le montant puisse être budgétisé à l’avance, ce qui n’est possible qu’au moyen du LSV.»
Toutes les organisations ne s’en remettent pas au direct dialog et au recouvrement direct. Amnesty International, par exemple, offre certes à ses donateurs la possibilité d’un versement régulier automatique, mais pas dans la rue: «Le démarchage sur la voie publique n’a jamais été de nos priorités, explique Christelle Burri, collaboratrice au secrétariat de l’organisation. Pour être efficace et correct, il demande la mise en place de nombreux garde-fous et doit être confié à des professionnels. Leur présence risquerait en outre de créer une confusion avec les membres des sections d’Amnesty, bénévoles, présents dans la rue pour informer et récolter des signatures.» Lesquelles sont apposées sur des pétitions en faveur de victimes d’exactions ou de défenseurs des droits humains. B. G.