Dans l’univers des produits cosmétiques, le terme «naturel» est le mot magique dont usent les fabricants. A grand renfort d’extraits végétaux qui donnent leur nom aux crèmes et autres masques, placés en première ligne sur les emballages. Cela laisse penser qu’ils sont les principaux ingrédients de la recette. Mais la réalité est beaucoup moins rose…
L’une de nos lectrices neuchâteloises peut en témoigner, elle qui se remet à peine d’une grosse inflammation du visage. A la suite de la visite d’une conseillère en cosmétiques, elle fait l’acquisition de cinq produits de la marque «Les Naturelles» du fabricant suisse Predige, pour la somme de 300 fr. Ses attentes sont claires: «J’ai insisté sur le fait que j’avais une peau à problèmes, très réactive, souvent irritée et sujette à des dermatoses inflammatoires, précise-t-elle. La conseillère m’a alors proposé une ligne de crèmes convenant à toutes les peaux, même les plus sensibles.» La gamme en question, «au Marron d’Inde», est présentée sur le site internet de la marque comme «conçue spécialement pour les peaux sensibles à rougeurs». Les principes actifs mentionnés sont presque tous naturels, notamment ceux de la crème de nuit: extrait de marron d’Inde, d’hamamélis et d’algue rouge.
Rouge comme une pivoine
Tous les voyants semblaient donc au vert. Mais c’est bien au rouge pivoine qu’a viré le visage de notre lectrice dès les premières applications! Et pour cause: dans cinq des six produits de la gamme, on relève au total pas moins de 18 composants jugés négativement par un site de référence dans l’analyse du contenu des cosmétiques (lire encadré). Et tous, sauf un, ne sont pas d’origine naturelle, à commencer par le méthoxycinnamate d’éthylhexyle, un filtre UV suspecté d’être un perturbateur endocrinien. Autre indésirable notoire: le méthylisothiazolinone (MIT), un conservateur qui fait partie des dix premiers ingrédients du Tonique au Marron d’Inde et que nous avions déjà dénoncé, en mars dernier, dans notre article «Parabènes remplacés par pire»(1). A ce propos, Pierre Piletta, dermatologue aux HUG, est catégorique: «Responsables d’une véritable épidémie d’allergies, les MIT sont à bannir! A plus forte raison pour les peaux sensibles ayant déjà des antécédents. Ces personnes doivent s’orienter vers des produits évitant complètement les conservateurs traditionnels et les parfums.»
Et le marron d’Inde? Ce fruit du marronnier commun n’est présent qu’en doses infimes dans la gamme qui, pourtant, porte son nom: il n’apparaît jamais dans les dix premiers composants, mais, par exemple, en 26e position sur 35 dans la crème de nuit.
Dès lors, est-il normal de vendre un produit estampillé «Les Naturelles», spécialement conçu pour les peaux sensibles, s’il contient en réalité un grand nombre de composants chimiques problématiques? Contacté par Bon à Savoir, le fabricant n’a pas répondu. Il a toutefois accepté, après un premier refus, de rembourser les articles renvoyés par notre lectrice.
Une chose est sûre: ni le nom d’un produit ni les composants naturels mis en avant ne garantissent l’innocuité du contenu. Pas plus le fait que toutes les substances incriminées, comme c’est le cas ici, soient conformes à la réglementation actuelle. Et, si la présence d’un label bio peut être un indice intéressant, il ne suffit pas toujours: il en existe une multitude, chacun avec un cahier des charges différent et des organes de contrôle souvent chapeautés par la branche elle-même. Seule solution efficace? Faire parler la liste des ingrédients INCI (lire encadré).
Vincent Cherpillod
(1)A lire sur www.bonasavoir.ch (accès libre pour nos abonnés).
EN PRATIQUE
Décrypter la liste des composants
Il n’existe qu’un moyen de connaître le contenu réel d’un lait pour le corps ou d’une crème de jour: éplucher sa déclaration «INCI» (Nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques). Conçue en 1973 par une association américaine représentant plusieurs fabricants, son utilisation est devenue obligatoire en Europe en 1998. Sur chaque cosmétique doit donc figurer la liste complète des ingrédients, dans l’ordre décroissant de leur quantité, et sous une dénomination précise.
Mélange de substances chimiques parfois abrégées sous forme de code et de nom de plantes en latin, elle peut être difficile à appréhender. On peut toutefois la décrypter au moyen du moteur de recherche du site La vérité sur les cosmétiques(2), l’une des références en la matière. Exhaustif et simple d’utilisation, il permet de distinguer les produits sans danger de ceux dont la nocivité est suspectée ou attestée.
(2)www.laveritesurlescosmetiques.com/inci_fr.php