Autrefois produit local, la bière n’échappe pas à la globalisation. En Suisse également: le groupe Heineken (troisième brasseur mondial avec près de 60 millions d’hectolitres) a acquis la totalité des actions de Calanda-Haldengut en 1999. Quant au second grand brasseur suisse, Feldschlösschen (2,3 mios d’hectolitres en 1998), il devrait désigner son nouveau propriétaire avant la fin de l’année.
Conséquence: estampillées Import encore récemment, les «premium brands», bières internationales de prestige sur lesquelles les brasseurs font de confortables marges, sont désormais fabriquées en Suisse sous licence. Et c’est dans des cuves grisonnes, à Coire, que bouillonnent la Heineken, l’Amstel ou les «françaises» Fischer et Adelscott. Quant à la Tuborg, elle a troqué son passeport danois contre l’accent argovien de Rheinfelden.
Clones
On peut dès lors se demander si ces clones swiss made sont identiques à leurs souches batave, scandinave ou alsacienne. La question n’a rien de futile: une Heineken ou une Tuborg coûtent près du double d’une brave Cardinal. Or, techniquement, ce sont les mêmes bières: industrielles, de fermentation basse type «lager», relativement peu alcoolisées et légères de goût. Alors, la «premium» vaut-elle son prix?
Standards stricts
«La Heineken produite en Suisse est absolument fidèle à l’originale hollandaise, répond Jean-Pierre Hensch, porte-parole de Heineken Suisse SA. Nos standards très stricts, des contrôles effectués sur chaque cuve ainsi qu’une dégustation mensuelle le garantissent.»
Le brasseur souligne que l’acheminement des matières premières est organisé à un niveau international, et que seule l’eau utilisée est purement helvétique.
Alors, tout va mieux, la Heineken reste fameuse? Pas sûr. Nous avons demandé à Patrick Doria, œnologue et exploitant d’une brasserie artisanale à Nyon, de déguster à l’aveugle quatre «lager» suisses, dont la Heineken, ainsi qu’une Heineken brassée à Amsterdam. Le tout acheté à la Coop locale. Résultat: alors que la Hollandaise s’en tire avec honneur («équilibrée, bien structurée, assez maltée et houblonnée»), la Suissesse ne convainc pas: peu de structure, beaucoup d’amertume et une surprenante odeur de «vernis à ongle». Subjectif? Peut-être, mais comment expliquer la différence de couleur entre les deux Heineken: or pour la «vraie», paille pour l’Helvète?
«C’est incompréhensible, se désole Jean-Pierre Hensch. Je ne peux que faire une hypothèse: les bières ont peut-être été stockées dans des conditions différentes auprès du revendeur.»
Explication plausible, mais réfutée par Coop Suisse: la bouteille de 0,65 l de Heineken «Import» a droit au même traitement que sa petite sœur suisse vendue en six-pack de 0,25 l.
Reste que la bière, produit ultrasensible, exige un soin maniaque pour ne pas perdre ses qualités: couleur, goût, gaz carbonique. Et cela que la «roteuse» soit industrielle ou mitonnée avec amour dans une brasserie artisanale. Toutefois, la petite dégustation organisée par Bon à Savoir démontre paradoxalement qu’une différence de qualité décelée dans une bière aussi connue que la Heineken a plus de chance de passer inaperçue du consommateur moyen.
Blaise Guignard
confusion explicable
Tubinal ou Cardiborg?
Techniquement, bières lager de prestige ou bières standard n’ont d’autre différence que l’étiquette. Et encore, celle-ci n’est pas à l’abri d’une confusion, comme le prouve la photo ci-contre, reçue d’un lecteur avec ce commentaire perplexe: «N’est-ce pas choquant de boire de la Tuborg dans une bouteille Cardinal?»
Peut-être, mais explicable: la Cardinal en question est la Best Lager, brassée comme la Tuborg à Rheinfelden. Contrairement à la Danoise, l’étiquette de la Best Lager est imprimée avant la mise en bouteille. C’est donc une de ces bouteilles qui s’est retrouvée par erreur dans un lot destiné à accueillir la Premium danoise. Le mutant a ensuite infiltré un dix-pack de Tuborg avant d’atterrir dans un satellite Denner. «C’est une erreur, c’est clair, reconnaît Dieter Zingg, directeur de la brasserie de Cardinal. Mais c’est bien de la Tuborg.»
Pour se faire pardonner, la brasserie invite notre lecteur à une dégustation. Sympa.