Le web a beau être «sans frontière», lorsqu’on y achète des biens numériques, la Suisse reste un îlot de cherté. C’est le constat qu’on peut faire en surfant sur des sites en ligne destinés aux consommateurs suisses, français et américains (voir tableau). Alors que les prix sont pratiquement identiques à l’étranger, les Helvètes paient près de 5 fr. de plus pour un album au format MP3, 3 fr. pour un livre électronique et 8 fr. pour un film en téléchargement. Pourtant, dans ces cas, l’argument de la main-d’œuvre plus onéreuse ne tient pas, puisque les achats se font via des systèmes automatisés, souvent basés dans d’autres pays. Dès lors, comment peut-on justifier de tels écarts?
iTunes, d’Apple, est la plateforme la plus populaire du monde pour la vente de musique et de films en ligne. L’entreprise fixe les prix pour chaque pays. En Suisse, les maisons de disques reçoivent pourtant un pourcentage basé sur le prix de vente européen, comme le révélait l’émission nouvo (RTS). La marge de 5 fr. ne va donc pas dans la poche des artistes, mais uniquement dans celle de l’entreprise américaine. Apple n’a pas souhaité réagir sur ce point. Monsieur Prix est actuellement en contact avec la firme.
Taux de change non répercuté
Sur le marché de la musique en téléchargement, le consommateur suisse peut toutefois faire jouer la concurrence. Il existe, en effet, des marchands qui appliquent plus scrupuleusement le taux de change. C’est le cas d’exlibris.ch, filiale de Migros, notamment. Le dernier album du groupe Muse y est disponible au prix de 13.90 fr., un tarif à mi-chemin entre celui de iTunes et des sites étrangers.
La marque à la pomme est encore plus gourmande sur les œuvres cinématographiques. Elles sont plus de 30% moins chères en dehors de nos frontières. La concurrence est ici plus difficile à faire jouer. En Suisse, peu de fournisseurs proposent l’achat définitif de films. Le système privilégié est la vidéo «à la demande» (VOD), où le bien est visible pendant un temps donné.
Enfin, le marché du livre numérique est différent. Les œuvres proviennent en grande partie des éditeurs français qui fixent le prix de vente. Certains peinent à répercuter le taux de change. C’est le cas de Hachette dont le dernier best-seller de J.K. Rowling, «Une place à prendre», revient 16% plus cher en Suisse qu’en France. D’autres maisons d’édition jouent davantage le jeu. Une des meilleures ventes de la rentrée littéraire, «Home», de Toni Morrison, chez Bourgois, est par exemple disponible pour 15.70 fr. en Suisse et 15.50 fr. en France.
Loïc Delacour
CE QUE DIT LA LOI
Passer par les sites d’e-commerce étrangers
Puisque les prix sont plus avantageux sur certains sites web étrangers, pourquoi ne pas s’y fournir directement? L’affirmative semble aller de soi. Tel n’est pourtant pas le cas. En effet, les commerçants en ligne ont élevé plusieurs barrières techniques pour bloquer l’accès à leurs services depuis l’étranger. Pour géolocaliser l’internaute, leurs services se basent sur deux critères: l’adresse IP de l’ordinateur, comparable à une carte de visite laissée en chemin, et le compte bancaire de l’utilisateur.
Pour déjouer ces obstacles, il faut d’abord se procurer une carte de crédit auprès d’un établissement voisin, ce qui est possible même sans adresse en France. Puis, plus compliqué, transiter par un serveur tiers, souvent payant, afin de masquer son adresse IP.
Reste, la question de la légalité de telles démarches, puisque la plupart des conditions générales de vente précisent clairement que le client doit être domicilié dans le même pays que le vendeur. Passer à l’achat malgré tout est donc une violation du contrat. En règle générale, cela ne va guère plus loin, car, une fois le paiement effectué et le bien téléchargé, les deux parties sont satisfaites.