Dès l’âge de 50 ans, la plupart des hommes se voient proposer par leur médecin un dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA. Objectif de ce test sanguin, lors duquel on mesure le taux de la protéine PSA (antigène prostatique spécifique): déceler d’éventuelles modifications pathologiques de leur prostate, même s’ils n’ont ni troubles ni symptômes. Si leur taux de PSA dépasse 4 ng/ml («PSA à 4»), on leur conseille en général de procéder à de nouveaux examens (répétition du test, échographie, biopsie).
Maladie fréquente
A priori, la mesure paraît sensée. En Suisse, avec quelque 5700 nouveaux cas par année, le cancer de la prostate est la maladie cancéreuse la plus fréquente dans la population masculine et son incidence augmente avec l’âge. «La détection précoce permet d’identifier le cancer à un stade où il est encore guérissable et pourra être opéré sans endommager les nerfs érecteurs et le sphincter, parce qu’il est encore contenu par la capsule prostatique», affirme Christophe Iselin, médecin-chef du Service d’urologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). De fait, la Société suisse d’urologie (SSU) qu’il préside recommande à ses membres de discuter du diagnostic précoce avec leurs patients et de les informer avant de préconiser un dosage du PSA dès 50 ans.
Pourtant, il n’existe «pas de preuve formelle» que le dosage du PSA contribue à abaisser la mortalité par cancer de la prostate, relève la Ligue suisse contre le cancer. Par ailleurs, seuls 25% des hommes présentant un PSA entre 4 et 10 ont bel et bien un cancer. Et même chez ces derniers, il n’est pas toujours possible de prédire l’évolution de la maladie, car le cancer de la prostate n’est agressif que dans 10% des cas, et 80% des cancers non agressifs n’évoluent pas – on meurt donc avec eux, et pas à cause d’eux.
Risque de surdiagnostic
Enfin, le dosage du PSA fait courir au patient un risque de surdiagnostic et de surtraitement. Dès que le PSA dépasse 4, une spirale s’amorce presque inévitablement: examens, attentes pénibles, biopsies. Et, en cas de diagnostic du cancer, des traitements lourds (chirurgie, radiothérapie, hormonothérapie, chimiothérapie), qui pourront tous avoir des conséquences graves, notamment l’impuissance ou l’incontinence urinaire. Or, cette artillerie est parfois déployée contre des cancers qui n’auraient jamais incommodé les patients, s’ils n’avaient pas été détectés. Le dosage du PSA «n’allonge pas la vie du patient, il ne fait qu’allonger sa vie de malade», concluait ainsi, en 1997 déjà, Jacob Cukier, ancien urologue à l’Hôpital Necker, à Paris.
Rapport bénéfice-risques
De fait, en se soumettant à ce test, les hommes prennent des risques, dont trop souvent on ne les informe pas. Ce qu’ils ne savent pas toujours non plus, c’est que certains comités d’experts le déconseillent clairement, estimant son rapport bénéfice-risques trop défavorable. C’est le cas de l’US Preventive Services Task Force et de l’American Cancer Society aux Etats-Unis, de la Haute Autorité de santé en France et, depuis novembre 2011, du Swiss Medical Board (SMB).
Conflit d’intérêts
En Suisse, la SSU a vivement réagi, reprochant au SMB de «jeter le bébé avec l’eau du bain» et de diffuser une «information désécurisante», sans l’avoir consultée. «Les sociétés de spécialistes doivent apporter leur expertise dans les discussions, mais elles défendent toujours également les intérêts de leurs membres, qui peuvent aussi être financiers», souligne, de son côté, Peter Suter, président du comité directeur du SMB.
Le cancer de la prostate est en effet aussi un marché, dont l’agence FirstWord Pharma Plus rappelle, par exemple, qu’il est en «croissance constante», au niveau tant diagnostique que thérapeutique. Certains acteurs ont donc des intérêts très concrets à ce que le plus grand nombre d’hommes possible fassent doser leur PSA.
Au final, c’est au patient de se faire sa propre opinion, en exigeant de son médecin qu’il l’informe de manière honnête et transparente sur les bénéfices et les risques de la démarche.
Catherine Riva
Bonus web:cancer de la prostate