Peu après l’attentat contre des touristes suisses à Louxor , l’automne dernier, Adolf Ogi affirmait:«Nous devons disposer de nos propres avions de transport, ne serait-ce que pour pouvoir rapatrier nos compatriotes d’une région en crise.» Les ressortissants avaient été évacués aux frais de l’assurance voyage Elvia. Les corps des victimes avaient quant à eux été rapatriés avec un avion du gouvernement égyptien. L’an dernier aussi, 25 Suisses ont été évacués de la capitale congolaise Brazzaville par l’armée française. Comme l’armée suisse recherche de nouvelles tâches, elle désire à l’avenir, ramener elle-même de l’étranger les compatriotes en difficulté.
La tournée mondiale de la multinationale de l’armement Lockheed Martin, avec ses Hercules C130J, ne pouvait donc mieux tomber. L’armée a aussitôt inscrit l’un de ces avions sur sa liste de cadeaux. Prix d’achat: 52 millions de dollars, ou 78 millions de francs suisses. Idem pour l’appareil italo-américain C-27J Spartan (26 mio. de dollars/pièce). Pourtant, les deux appareils ne se prêtent que dans certaines conditions au transport de personnes. De plus, leur autonomie en pleine charge n’est que de 2200, respectivement 1100 km.
En fait, l’armée souhaite acheter trois gros-porteurs. Et comme, dans la petite Suisse, il est plus approprié d’utiliser des hélicoptères, ces appareils devraient surtout être utilisés pour des missions à l’étranger, confirme Hugo Wermelinger, du DDPF (Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, anciennement DMF). Par exemple dans le cadre du Corps de solidarité suisse, proposé par la commission Brunner dans son rapport sur l’avenir de l’armée.
Chère indépendance
Le DDPF justifie ces achats par sa volonté d’indépendance. Mais le CICR ou le Corps suisse d’aide en cas de catastrophe s’estiment indépendants, sans pour autant disposer de leur propre flotte aérienne. «Nous devons être très flexibles, explique Oskar Schnider, responsable des opérations aériennes du
CICR. Chaque mission nécessite un autre type d’appareil.» Et de noter, par exemple, que le quadrimoteur Hercules est un avion idéal pour la brousse, grâce à la courte distance dont il a besoin pour décoller et atterrir. De plus, il peut transporter jusqu’à 22 tonnes de chargement.
Mais M. Schnider préfère la location, car les avions peuvent être loués à proximité de la région où il en a l’utilité. «Il ne serait pas sensé de faire un demi-tour du monde pour arriver sur les lieux de l’intervention», commente-t-il. En fin de compte, il estime surtout que la location revient moins chère.
Sur le tarmac
Ce raisonnement devrait également être valable pour le DDPF. Vu le nombre restreint de missions humanitaires que la Suisse a effectué à l’étranger, il apparaît clairement que le Hercules fédéral passerait la plupart du temps sur le tarmac suisse, occasionnant des coûts d’entraînement et d’entretien élevés.
L’objection des militaires, arguant du fait qu’ils veulent être prêts à intervenir rapidement, est aussi écartée par le Corps suisse d’aide en cas de catastrophe. Lui non plus n’a pas d’avions propres, mais travaille étroitement avec la REGA et reste directement opérationnel. En outre, un contrat avec Swissair permet «de décoller dans les huit heures avec un appareil de
la compagnie», argumente Charles Raederdorf, chef du Corps. Quant au rapatriement de compatriotes, les avions pour passagers s’y prêtent parfaitement. Et on peut, par exemple, les louer auprès de l’une des quelque 50 agences de location d’avions, tel Crossair.
Quant à l’intervention de militaires suisses à l’étranger, elle ne nécessite même pas une telle location. Les aides médicales suisses (Swiss medical unit) en Namibie et dans le Sahara occidental ont ainsi voyagé avec Swissair. Les coûts du transport, effectué par l’ONU, s’élevaient alors à 1,1 million de francs pour la Suisse. Les bérets jaunes suisses de Bosnie volent dans les Balkans avec un appareil loué par l’OSCE à la compagnie Farner Air. Et la Confédération n’a aucune influence sur le transport de ses observateurs militaires (entre autres au Proche-Orient et en Croatie): «L’ONU nous dicte l’itinéraire, mais le paie aussi», commente Adrian Baumgartner de la division des opérations en faveur du maintien de la paix du DDPF.