«Apprenez un métier recherché par les entreprises, sûr et bien payé. Devenez comptable.» Vous avez peut-être déjà remarqué cette publicité fort alléchante de l’Institut de formation permanente (IFP) dans la presse romande. Cette société basée à Gland (VD) est spécialisée dans les formations comptables par correspondance. En ayant le «niveau bac ou maturité», on peut par exemple préparer à distance un examen permettant d’obtenir un diplôme IFP de comptable en 10 à 12 mois pour la coquette somme de 4750 fr. A l’inverse d’un CFC ou d’une matu, ce diplôme n’a pas de reconnaissance fédérale, mais à en croire la pub, il offrirait néanmoins un avenir radieux.
Profession pas protégée
Trop beau pour être vrai? Des pubs promettant des lendemains qui chantent, une formation par correspondance, la méthode IFP nous a immédiatement fait penser à celle de l’école Culture et formation dont nous avions dénoncé les promesses surfaites (lire BàS 1/07*). Or ces deux sociétés ont leurs bureaux sis à la même adresse et le même gérant, un avocat fribourgeois. De quoi se poser quelques questions.
Pour mieux comprendre les enjeux, il faut savoir en premier lieu que le titre de comptable n’est pas protégé en Suisse. Cette brèche est évidemment fort intéressante pour présenter des formations maison. Mais proposer un diplôme est une chose, faire miroiter une place de travail quasi assurée en est une autre. A l’IFP, on n’en démord pas: «Des élèves nous ont confirmé qu’ils avaient trouvé une place de comptable grâce à notre cours», lance Michel Graff, responsable pédagogique de l’Institut. En douze mois de formation par correspondance, on pourrait donc satisfaire pleinement aux besoins des entreprises dans un domaine aussi pointu que la comptabilité? «Peut-être pas pour le bouclement annuel ou la comptabilité analytique, tempère notre interlocuteur, mais ils peuvent sans autre assurer la comptabilité courante d’une société.» Quant au salaire à attendre: «De 6000 fr. à 7000 fr., selon les cantons.»
Brevet fédéral
Du côté de l’orientation professionnelle, on se montre sceptique: «Faire croire que toute personne qui sait manier les chiffres peut devenir comptable en une année, ça me semble peu réaliste!» estime Anne-Claude Kuenzi Hofman, cheffe de l’unité information et documentation de l’Office cantonal vaudois d’orientation scolaire et professionnelle. Pour Mme Kuenzi Hofman, on ne plaisante pas avec ce métier «très sérieux». En effet, si le titre de comptable n’est pas protégé, il existe toutefois un brevet fédéral de spécialiste en finance et comptabilité. Et au- dessus, il y a le diplôme fédéral d’expert en finance et en controlling et celui d’expert-comptable diplômé pour le registre fiduciaire et révision. Des formations très exigeantes, mais qui garantissent ce que promet l’IFP: un métier sûr et (très) bien payé.
Dès lors, dans la balance, l’IFP apparaît un peu légère: «Je ne pense pas qu’une personne possédant un diplôme IFP postulera avec succès à l’Etat ou dans une grande entreprise. Mais peut-être que cela suffira pour tenir une petite comptabilité» conclut Mme Kuenzi Hofman. Un avis que partage Joseph Catalano, président de la Chambre des experts en finan-ce et en controlling (SWISCO): «Nous défendons un titre sanctionné par un brevet ou un diplôme fédéral. Ces filières parallèles sont d’un bas niveau.»
Echec sur toute la ligne
Une anecdote récente semble montrer que M. Catalano n’a pas tout tort. L’IFP avait conclu un accord pour que ses élèves diplômés en comptabilité puissent se présenter à un examen de comptabilité supérieure de la Société des employés de commerce (SEC) de Lausanne. Or, à l’examen l’an passé, un élève sur dix a réussi. Verdict de la SEC, qui a mis fin à la collaboration: «Ils ne savent pas passer une écriture comptable.» Interrogé sur ces résultats, M. Graff précise que «C’était un examen de comptabilité supérieure. Or nos cours s’arrêtent à la base. Nous allons jusqu’au bouclement des écritures, sans faire par exemple de répartition des bénéfices, comme cela a été demandé.» Un constat qui a quand même la forme d’un aveu.
Sébastien Sautebin