C’est un scandale! – C’est ainsi que Célestin Thétaz, le chimiste cantonal valaisan, commente les résultats de notre enquête dans les frigos de onze commerces du Chablais. En effet, sur 27 produits laitiers, viandes et poissons, 17 dépassaient la température maximale autorisée! Et pour certains, ces dépassements n’étaient pas des moindres, puisque nous avons mesuré jusqu’à 7,85°C pour du poisson qui devrait être vendu à 2°C seulement!
Or, comme le précise Charles Charvet, adjoint du chimiste cantonal vaudois: «Ingérer des aliments vendus à des températures trop élevées peut être nuisible pour la santé. A partir de 10°C, et même 4°C pour le poisson, les bactéries se développent bien. Concrètement, cela peut se traduire par de la diarrhée, accompagnée ou non de fièvre, de vomissements ou de crampes abdominales.
»Rares sont les cas graves, mais les personnes dont les défenses immunitaires sont affaiblies – femmes enceintes, nourrissons, personnes âgées, etc. – courent de plus grands risques à consommer de tels produits. Par ailleurs, certaines bactéries pathogènes, comme la listeria, peuvent encore se développer à des températures entre 6°C et 8°C…»
L’enquête
Pour établir si les magasins respectent les règles en matière de réfrigération des aliments, des enquêteurs d’On en parle (Radio Suisse Romande, La Première) et de Bon à Savoir, équipés de thermomètres professionnels, se sont rendus dans onze commerces de Monthey et environs (lire encadré ci-contre) et ont prélevé la température au cœur des aliments périssables.
Les températures maximales autorisées pour ces produits sont fixées dans l’Ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires (ODAl, art. 39 et 125), à savoir: 2°C pour le poisson, 5°C pour la viande et 6°C pour les produits laitiers.
Résultats stupéfiants
Comme dit plus haut, les résultats (voir tableau) sont stupéfiants: sur 27 produits testés, toutes catégories confondues, 17 étaient trop chauds, 3 acceptables (jusqu’à +1°C par rapport aux normes) et seulement 7 étaient conformes.
> Poissons: tous «trop chauds»
Parmi les articles «trop chauds» se trouvait l’ensemble des poissons testés. Aucun des cinq commerces qui en vend n’était parvenu à les maintenir à moins de 2°C. Les températures constatées vont de 3,73°C à 7,85°C.
«Tous les chiffres mentionnés en rouge dans votre tableau sont inadmissibles!», s’indigne Célestin Thétaz. Maintenir les réfrigérateurs à moins de 2°C est certes une opération délicate, mais de tels dépassements sont excessifs. Suite à notre constat, les spécialistes recommandent donc aux consommateurs de privilégier d’une manière générale les poissons vendus au détail et disposés sur un lit de glace pilée.
> Deux viandes conformes
Dans deux commerces seulement, Carrefour et Coop, la viande testée était vendue à la bonne température. Deux petits commerces, les shops Shell et Migrol, se situent dans la marge de tolérance avec un dépassement n’excédant pas d’un degré la température maximale de 5°C. Les sept autres enseignes proposaient de la viande à des températures se situant dans une fourchette de 6,6°C à… 11,75°C!
> Produits laitiers: la moitié est conforme
Quant aux produits laitiers, la valeur maximale de 6°C était respectée dans cinq cas sur onze et dépassée dans une faible mesure dans un cas. A cinq reprises, les températures dépassaient 7,25°C.
Contrôles renforcés
Stupéfait par nos résultats, Célestin Thétaz annonce d’ores et déjà: «Votre enquête nous met la puce à l’oreille et nous allons faire des contrôles plus fréquents à l’avenir.»
Du côté des responsables directs des commerces visités et de leur direction, l’étonnement cède la place à diverses tentatives d’explications (lire encadré ci-contre). La plus courante étant que nos mesures auraient été prises au moment où les frigos étaient en train de… dégivrer. Or, dégivrage ou pas, les températures maximales autorisées ne doivent en aucun cas être dépassées, faute de quoi il s’agit bel et bien d’une rupture de la chaîne du froid.
Du rayon au domicile
Les responsables des surfaces visitées promettent certes des améliorations. Toutefois, comme il est impossible d’en avoir le cœur net, à moins de faire ses courses équipé d’un thermomètre ultra performant, mieux vaut choisir les emballages qui sont le plus au fond du frigo, sélectionner les dates limites de consommation les plus éloignées et les respecter.
La température des aliments
à la sortie des commerces est d’autant plus importante qu’entre l’instant où la barquette de poisson, de viande ou le yogourt est placé dans le caddie et son rangement dans le frigo domestique, il s’écoule souvent un certain temps. Là aussi, la température ne devrait pas grimper excessivement. Or, l’expérience suivante, menée par nos enquêteurs, démontre que la nourriture gagne très vite quelques degrés dans le coffre d’une voiture:
> Dans une glacière, un yogourt acheté à 7,73°C avait atteint 8,2°C une heure après.
> Dans un cabas, une barquette de filet de lieu noir royal pris en rayon à 4,3°C affichait déjà 9,2°C trente minutes après, tandis qu’un demi-lapin découpé passait de 4,56°C à 8,5°C et un yogourt de 3,86°C à 11,8°C.
Pour contenir au mieux cette variation, l’idéal est de rentrer au plus vite, d’utiliser des sacs thermiques et de prendre les produits sensibles en fin de course.
A la maison, les aliments doivent être rangés de suite dans le réfrigérateur et, bien sûr, au bon endroit (lire BAS 4/00). En effet, dans un frigo domestique, la température varie entre 2 et 15 degrés. Il faut donc en tenir compte en plaçant les viandes et les poissons dans le bas et les produits laitiers au milieu.
Zeynep Ersan Berdoz
déroulement du test
Température au cœur des aliments
Nos enquêteurs ont utilisé des thermomètres professionnels de la marque Testo (modèle 826-T4) équipés d’un rayon infrarouge et d’une sonde pour des mesures de contact. L’ infrarouge ne permettant de mesurer que la température de l’emballage et non celle du produit, nous avons utilisé la sonde pour prendre des mesures au cœur des aliments.
Les produits ont été systématiquement choisis au centre du rayon frigorifié, soit dans la zone de croisement de deux diagonales virtuelles traversant l’entier du frigo. Pour les produits laitiers, nous avons favorisé les yogourts et autres denrées assimilables. Le poisson a été choisi en filet et sans peau et la viande en filet ou en saucisse.
Délicatement percé par la sonde, l’emballage n’a en aucun cas été sorti du frigo pendant la mesure. La température d’un même aliment a été prise en différents points. C’est la moyenne de ces mesures, souvent proches, qui est indiquée dans le tableau ci-dessous. Lorsque nous avons observé des variations de température entre différents emballages d’un même groupe d’aliments, nous avons retenu la température moyenne la plus élevée.
Les mesures ont été effectuées dans onze commerces de tailles diverses, dont quatre enseignes dites de dépannage (stations-service) situés dans la région de Monthey (VS). Cette région, en plein développement commercial, regroupe un grand nombre d’enseignes et attire tant les Bas-Valaisans que les Vaudois, ainsi qu’un nombre grandissant de Romands en séjour dans les stations alpines. Enfin, nous avons ajouté aux commerces chablaisiens le seul magasin Carrefour du Bas-Valais, à Conthey.
2e encadré
du côté des commerces
Surprise et explications diverses
Du côté des commerces, l’étonnement cède rapidement la place aux vérifications maison. Ainsi, la majorité des directions affirme avoir enregistré des résultats différents de ceux de nos enquêteurs et ceux-ci auraient été tout à fait conformes aux normes... Ce constat n’a pas empêché nos interlocuteurs de proposer différentes pistes d’amélioration. Celles-ci vont du changement des installations «qui ne sont plus du dernier cri» (Coop Pronto) à la «vérification du système de fermeture des portes des frigos» (BP), en passant par un contrôle strict des aliments au moment de leur livraison et une analyse de la phase de mise en rayon (Coop, Migrol, Migros). Sans oublier, chez Manor, l’introduction prochaine d’un nouveau système centralisé afin de contrôler automatiquement les températures toutes les 15 minutes grâce à la technologie RFID (identification par radiofréquence). Du côté de Carrefour, on estime «qu’il faut respecter la loi, mais que, dans certains cas, il faut aussi montrer une certaine flexibilité».
Seul Casino et Denner reconnaissent avoir eu quelques soucis. Problème de réglage chez Casino, et des frigos vétustes dont le remplacement ne pourra avoir lieu qu’après le déménagement, en octobre, chez Denner. Les directions générales de Shell et de Pick Pay n’ont pas répondu à nos demandes d’explications.