Opter pour une caisse maladie moins chère est l’unique marge de manœuvre pour de nombreux assurés face à la hausse constante des primes. «A très court terme, c’est une solution. Mais c’est un des facteurs des hausses des coûts de nos primes», regrette un abonné. «Pourquoi miser sur cette façon de faire qui va augmenter les frais administratifs et se retourner contre l’ensemble des assurés?» Bonne question. A noter que la concurrence entre les caisses a été érigée en principe fondamental du système de santé. Combien cela coûte-t-il? Bon à Savoir a mené l’enquête.
Des dizaines de millions de francs sont dépensés, chaque année, en publicité et en commissions aux courtiers afin de s’attirer de nouveaux clients. Ces sommes participent aux coûts de la santé et se répercutent sur les primes de la base, l’année suivante.
Selon les recherches de Bon à Savoir, les changements de caisse maladie à la fin de 2022 ont coûté entre 220 et 300 millions de francs. D’après les bilans des assureurs publiés par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), on compte 50 millions de francs pour les commissions aux courtiers qui ont ramené des clients aux assureurs (plafonnées à 70 fr. par dossier), en incluant celles payées aux comparateurs commerciaux comme comparis.ch ou bonus.ch.
La publicité engloutit 75 millions de francs
La publicité, pour la seule assurance de base, a coûté 75 millions de francs en 2022. Le reste de l’ardoise de 220 à 300 millions représente les coûts purement administratifs du passage d’une caisse à l’autre, ou frais de gestion.
Pour une arrivée: il s’agit de vérifier que l’ancien assureur a validé la résiliation du client, créer son profil, lui envoyer un dossier d’accueil et une carte d’assuré, détaille Karin Devalte, responsable de la communication chez Assura.
Pour un départ: il faut valider la résiliation en vérifiant que la totalité des primes et participations aux coûts dues a été payée et que l’attestation d’assurance a été fournie par le nouvel assureur, avant de confirmer la résiliation au client.
Plusieurs caisses ont jugé réalistes nos estimations de 50 à 60 fr. de frais de gestion liés à une arrivée ou un départ, soit quelques 110 fr. par changement. D’après différentes sources et méthodes de calcul, entre 800 000 et 1,2 million d’assurés (entre 8% et 13% du total) auraient changé de caisse en 2022, ce qui représente de 90 à 160 millions de francs de frais de gestion.
Manque de transparence
Les assureurs ne sont pas transparents sur tous les frais liés aux départs et arrivées, déplore la conseillère nationale Sarah Wyss (PS/BS), qui a interpellé le Conseil fédéral afin de connaître ces données. La forte hausse des primes pour 2024 et le ras-le-bol de la population engendreront davantage de mouvements d’assurés cette année, et donc de coûts, estime-t-elle. Certaines caisses devront, par exemple, embaucher pour mieux gérer l’afflux, comme la KPT l’avait fait début 2023, lorsque sa clientèle avait grimpé de 50%.
Interpellées, les caisses préfèrent évoquer le rapport entre les primes et leurs frais d’exploitation intégraux – les coûts des changements de caisse, mais aussi de nombreux autres, comme ceux liés à l’utilisation et la gestion des locaux.
Ces frais généraux stagnent depuis des années autour de 5%, rappellent Santésuisse et Curafutura, faîtières des assureurs. Quant aux changements de caisse, ils sont informatisés et rôdés, leurs coûts ne seraient pas significatifs, ajoute la KPT. Cet assureur n’a toutefois pas voulu donner de précisions sur sa situation propre.
Frais en hausse continue
Il faut se méfier de ce taux de 5% brandi par les assureurs pour démontrer leur efficacité. Vu que les primes sont en hausse constante, ce taux représente aussi toujours plus d’argent.
Exemple:
- 5% de la prime mensuelle moyenne, cela représente:
En 2000, 7.70 fr. (sur 154 fr.)
En 2015, 13.70 fr. (sur 274 fr.)
En 2022, 15.70 fr. (sur 315 fr.) - En 2024, ces 5% représenteront 18 fr. par prime mensuelle moyenne (360 fr.).
- Entre 2022 et 2024, la moyenne des frais administratifs par assuré et par an passera donc de 194 fr. à 216 fr.
Confrontée à ces calculs, Santésuisse admet une hausse des coûts administratifs, qui serait due à une augmentation des factures à traiter et à vérifier, ainsi qu’aux exigences légales qui engendrent davantage de bureaucratie, comme le recours, devenu fréquent, à un médecin-conseil. La faîtière ajoute: les coûts des prestations par assuré augmentent toujours plus vite que les frais administratifs.
Un cercle vicieux pour les assurés
Le Conseil fédéral a officiellement déclaré que, avec une caisse publique, certaines dépenses disparaîtraient: publicité, commissions aux courtiers et frais administratifs des changements d’assurance. En revanche, l’absence de concurrence n’inciterait plus les caisses à réduire leurs coûts.
Des économies de 220 à 300 millions de francs ne suffiraient pas à assainir le système de santé. Elles figureraient néanmoins parmi les mesures les plus importantes prises à ce jour.
Les changements de caisse ont aussi une grande influence sur les primes. Avec des effets de rattrapage. Fin 2021, il y a eu davantage de mouvements d’assurés que prévu. La hausse des primes pour 2023 a donc été moins forte qu’annoncée, et les recettes des caisses moins élevées. Les assureurs ont eu tendance à rattraper leur retard en augmentant davantage les primes 2024. Conclusion: le système de santé encourage à changer de caisse, mais si trop de monde le fait, ces changements deviennent inutiles.
Gilles D’Andrès / Laura Drompt
Attention aux pressions malhonnêtes
Les commissions de courtage ne sont plafonnées à 70 fr. que pour l’assurance obligatoire, mais pas pour les complémentaires. Dans ce domaine, elles peuvent atteindre plus de 1000 fr. par changement de caisse! Le montant de ces commissions représente presque dix fois le total de 50 millions de francs qui a été versé pour l’assurance de base.
Ce marché juteux est le lieu de tous les abus, souligne un employé d’une des plus grandes sociétés de conseils financiers du pays. Des agents de caisses maladie ou des courtiers externes insistent pour un rendez-vous à domicile, soi-disant pour l’assurance de base. En réalité, c’est l’occasion de vendre de lucratives complémentaires.
Même les mieux informés sont la cible de ces ventes, comme en témoigne l’expérience de la conseillère nationale Sarah Wyss: «J’ai changé de caisse sur un comparateur en ligne. Résultat: le nouvel assureur a insisté pour qu’un employé vienne chez moi me parler de mon assurance de base.» L’élue décline un entretien d’une heure et demie. Mais la caisse la convainc d’ouvrir sa porte à un employé pendant 15 minutes. «C’est déjà malhonnête de faire croire que l’on vient pour la base, alors qu’il s’agit des complémentaires. On peut aussi se demander qui rembourse les coûts de ces visites et déplacements.» Même si la tâche peut paraître difficile, changer d’assurance de base est à la portée du plus grand nombre, sans nécessiter aucun rendez-vous.
Options moins coûteuses
Il est possible de contourner, en partie, les mauvaises incitations du système de santé, qui finissent par se répercuter à travers des hausses de primes. Le mieux est de changer d’assureur soi-même, sans l’intermédiaire d’un courtier en assurance. On évite alors les commissions de courtage. Attention, les comparateurs en ligne reçoivent aussi de l’argent si l’on fait des demandes d’offres sur leur site. Quoiqu’un peu austère, le comparateur indépendant priminfo.ch permet d’éviter ces frais.