Tout commence par deux questions soumises à notre rédaction: quels sont les pesticides les plus vendus en Suisse? Et qui les commercialise? Si évidentes et légitimes soient-elles, les réponses le sont moins… Car, à force d’entendre parler du glyphosate dans les médias, on en oublierait presque que la famille des pesticides est grande, immense même! Et que, si cette substance est l’herbicide le plus vendu dans le monde, elle n’est que l’arbre qui cache une forêt dense.
Pour les quantifier, nous avons utilisé la méthode dite du fact checking (ou vérification par les faits). Nous avons donc confronté les informations disponibles sur internet avec des sources scientifiques fiables, celles des entreprises chimiques qui commercialisent les produits phytosanitaires en Suisse ou en compulsant les données publiques et étatiques disponibles. La tâche semblait simple, puisque 76,1% du marché mondial est entre les mains de trois entreprises européennes et trois américaines: Syngenta (23,1% à elle toute seule), Bayer (aussi connue sous le nom de Crop-Science), BASF, Dow AgroSciences, Monsanto et DuPont. Mais, à ces géants, s’ajoutent une foule de petites sociétés chimiques actives en Suisse, en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Pologne, en
Belgique, aux Pays-Bas et même en Inde.
Nous avons ainsi pu identifier les cinq substances les plus utilisées en Suisse, à savoir le soufre, le glyphosate, l’huile de paraffine, le folpet et le mancozèbe (lire les blocs ci-dessous). Elles entrent dans la composition de nombreux produits dont la commercialisation est également accordée à un grand nombre d’entreprises. Rien que pour le soufre, 56 sociétés sont autorisées à commercialiser
97 produits. Et, pour le mancozèbe, ce sont 55 entreprises et 121 produits. En tout, nous avons comptabilisé 440 produits différents.*
Comparer l’incomparable
Selon Olivier Félix, responsable du Secteur protection durable des végétaux à l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), la Suisse en a commercialisé, en 2014, 2130 tonnes. Est-ce peu ou beaucoup? Pour y répondre nous avons cherché chez nos voisins et, plus loin, au Japon. Ainsi, le Ministère français annonçait, en mars dernier, une hausse de 9,4% par rapport à 2013, sans indiquer de tonnage global. Quand on réussit enfin à obtenir les résultats détaillés, on arrive à 58 894 tonnes! Et encore, cela ne tient pas compte des épandages de soufre et de cuivre. Mais, comme les statistiques étatiques ne sont pas calculées de la même façon, la seule comparaison valable, c’est la répartition des substances actives par hectare de terre agricole (ha). Elle est d’environ 4,5 kg/ha en Suisse et de 5,4 kg/ha en France, contre 12 kg/ha au Japon. La Suisse se situe donc dans une bonne moyenne.
Quels sont les dangers?
Reste qu’un pesticide sert à tuer la vie (cide signifie tuer; pest- signifie animal, plante nuisible ou encore insecte). Et, si l’industrie chimique a beau préférer la terminologie «produits phytosanitaires» (qui protège les plantes), il n’en demeure pas moins que les résidus des produits de synthèse polluent la faune, la flore et l’environnement. Dans de nombreux cas, ils s’avèrent également dangereux pour l’humain. Pourtant, en l’absence d’obligation d’étiquetage des pesticides utilisés pour la production des fruits, des légumes, des céréales et des huiles, impossible de savoir ce que nous ingurgitons vraiment. Tout est donc fait pour noyer le pois(s)on…
Annick Chevillot
Bonus web: Pesticides: liste des sociétés autorisées en Suisse