Lorsque Isa Wannaz a reçu l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances (TFA), elle a eu en même temps un sentiment de victoire et de colère. Victoire, parce que la Cour suprême ordonnait que la caisse maladie Concordia rembourse les médicaments administrés durant la phase terminale du cancer de son mari, décédé le 11 septembre 2002. Colère, en se souvenant du choc de Martial, lorsqu’il avait reçu la lettre lui annonçant que ses médicaments ne seraient pas pris en charge. «Dès lors, explique-t-elle, je me suis accrochée sans jamais lâcher prise. Il s’agissait plus d’un acte politique que d’un acte sentimental. Je l’ai fait pour tous les assurés prêts à s’endetter pour régler des factures indues plutôt que de se battre. Je compte sur vous pour faire passer le message.»
Double recours
Ce qui paraît en effet choquant, c’est que les médicaments contestés – le Taxotere et le Paraplatin – figurent tous deux dans la liste des spécialités (LS), soit la liste des produits remboursés dans le cadre de l’assurance maladie de base, régulièrement remise à jour par la Confédération. De plus, ils le sont sans limitation (lire l’encadré). Pourtant, a estimé Concordia, ils ne devaient pas être prescrits à M. Wannaz, car ils avaient certes été admis en Suisse pour soigner certains cancers, mais pas celui dont il était atteint. Litige en jeu: presque 50 000 fr.
Ulcérée, notre lectrice contacte son assurance de protection juridique, qui lui donne le feu vert pour entamer un recours. Un an plus tard, le Tribunal des assurances vaudois lui donne raison et ordonne le remboursement des médicaments. Mais la caisse maladie fait recours auprès du TFA. «Parce que les juges cantonaux n’avaient absolument pas traité la question de savoir si un médicament qui figure sur la LS sans limitation, mais prescrit pour des indications non reconnues par Swissmedic, doit être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins (AOS)», explique Louise Leserri, représentant de Concordia.
Dans son arrêt du 14 septembre 2004*, le TFA comble cette lacune. Non, un tel médicament ne doit pas être pris en charge s’il n’a pas été mis sur le marché suisse pour l’une des indications retenues par l’autorité ad hoc. Mais en même temps, il ordonne le remboursement du Taxotere et du Paraplatin… Pourquoi?
Parce que les juges fédéraux estiment qu’il existe des exceptions à cette règle de base. Entre autres «lorsqu’une maladie entraînant une menace pour la vie du patient ou une atteinte à sa santé grave et chronique ne pourrait pas être traitée autrement de manière efficace, par manque d’alternatives thérapeutiques. Le médicament ne pourra toutefois être administré à charge de l’AOS que s’il existe des raisons sérieuses pour admettre que le produit en question présente une utilité thérapeutique importante».
Rémission
Cette exception, la Cour suprême a estimé que Martial Wannaz devait en bénéficier. L’utilité thérapeutique des médicaments contestés a pu en effet être prouvée, ne serait-ce que parce qu’ils lui ont permis une rémission quasi complète jusqu’à quelques mois de son décès. D’autre part, il n’existait pas d’autre traitement, donc aucune alternative thérapeutique.
Concordia qui rappelle que la loi lui interdit de rembourser les prestations non reconnues dans l’assurance de base, prend acte de cette décision, mais recommande à tous les assurés, même si cela n’est pas facile, de toujours se renseigner avant le début d’un traitement.
Christian Chevrolet
*K103/03 du 14.03.2004.
les limitations de la liste des spécialités
Médicaments «hors étiquette»
L’assurance maladie de base ne couvre que les prestations retenues dans la liste des spécialités. Pour y être admis, la prestation doit être efficace, appropriée et économique.
Un médicament peut toutefois être admis avec une limitation. Par exemple, les gonadotrophines et analogues figurent dans la LS, mais avec la précision: «non admis pour le traitement de l’adiposité». S’ils sont quand même utilisés pour cela, ils deviennent «hors liste» et ne sont pas remboursés.
Le TFA vient en plus de rappeler qu’un médicament inscrit dans la LS sans limitation ne peut pas pour autant être utilisé à d’autres fins que celles pour lesquelles Swissmedic (l’autorité fédérale en la matière) a accepté qu’il soit mis sur le marché en Suisse. Ces indications sont fournies aux professionnels, dont les médecins. Si le médicament est quand même utilisé pour d’autres indications, on considère alors qu’il est administré «hors étiquette» et qu’il ne doit pas être remboursé par l’assurance de base.
Sauf exception, comme ce fut le cas pour Martial Wannaz (lire ci-dessus).