Nonante kilomètres carrés de forêts sont chaque jour détruits dans le monde pour fabriquer des cercueils. A ce rythme, ce sont les populations du globe qu’on menace!» C’est avec ces arguments écologiques que Gérald Pidoux, à la tête d’une entreprise de pompes funèbres à Orbe, a mis sur pied la société PBE (Peace Box Ecological), qui vend des cercueils en carton. Ils sont composés à 60% de papier recyclé, le solde en carton. Mais une peinture et un traitement mécanique de surface donnent au tout une apparence de bois. Si l’on n’y regarde pas de trop près...
PBE fait fabriquer ses cercueils en Alsace à prix imbattable: 215 fr. pièce, contre au moins 600 fr. pour un cercueil traditionnel. Le prix de gros (dès 10 000 pièces!) s’abaisse à 112 fr. par exemplaire. Mais l’entrepreneur d’Orbe le reconnaît: il n’en écoule que quelques centaines par année en Suisse, alors que le nombre de décès s’élève à environ 60 000.
Mexico lui en achète en revanche 50 000 par mois et la Chine s’est également annoncée preneuse: des négociations sont en cours. «Normal, car mes peacebox sont stables, étanches et de bonne qualité», commente Gérald Pidoux. Vendus pliés, ils se prêtent bien à l’exportation. «Vous savez, dans ces pays, on commence à se soucier beaucoup de la protection des forêts.»
n Technique et éthique
Pourquoi cette réserve helvétique? Tout d’abord: le carton ne dégagerait pas assez de chaleur et se consumerait donc mal dans les crématoires et boucherait les filtres. La commune de Kreuzlingen (TG), la seule fidèle cliente helvétique de PBE, déclare cependant ne pas connaître de problème de ce genre. Et Gérald Pidoux de protester: «Ce sont les cercueils en bois aggloméré qui brûlent mal. Avec les nôtres, il y a au contraire 80% d’émissions nocives en moins.»
Mais pour l’essentiel, le problème semble plutôt d’ordre éthique. «Je ne voudrais pas enterrer mon père dans une boîte en carton», s’indigne Franz Schrag, président de l’Association suisse des entreprises de pompes funèbres. «C’est l’étape avant le sac poubelle, renchérit Dominique Pahud, des Pompes funèbres officielles de la Ville de Lausanne, qui ne propose pas de peacebox. Le carton n’est pas assez résistant.» Gilbert Roduit, des pompes funèbres AAF en Valais, approuve: «Le carton n’est pas très digne. Nous vendons néanmoins des peacebox dans de rares cas. Après le décès d’un proche, certaines personnes pensent que désormais, plus rien n’a d’importance. Ils ne veulent donc pas de cérémonie.»
Mais les raisons économiques ne sont pas en reste. Hans Gerber, grand producteur zurichois de cercueils (il écoule sur le marché suisse des modèles à 350 fr.) le reconnaît: «Nous ne voulons pas la concurrence d’une autre firme.» Et certains professionnels admettent que «sur le peacebox, on ne gagne rien».
Ornements
Les peacebox ont cependant des avantages, relève Tony Linder, spécialiste en exhumation: après l’inhumation, le carton se désagrège en un mois, contre 6 à 8 ans pour les cercueils en bois. «Le fond, étanche, résiste trois mois et s’enroule autour du corps», précise M. Pidoux.
Quant à la question de la dignité, elle se pose surtout au moment de la cérémonie funéraire, lorsque le cercueil est exposé à l’église: le peacebox n’est pas vraiment solennel. La commune de Kreuzlingen a trouvé la parade: elle le recouvre d’un «sur-cercueil» en bois décoré, muni de belles poignées. L’assemblée ne peut donc pas voir le carton.