Paul(1) a travaillé douze ans dans une banque, qui lui a versé chaque année, en plus de son salaire, une gratification (ou bonus) allant de 3600 fr. (la première année) jusqu’à 30 000 fr. (la dernière année). Lorsqu’il a reçu son dernier salaire, au 31 décembre 2000, il a constaté que la gratification avait été supprimée. Il n’avait pourtant pas démérité, avant de résilier lui-même ses rapports de travail pour réorienter sa carrière.
Paul s’est adressé au tribunal pour réclamer son dernier bonus. Il estimait que, versé régulièrement, celui-ci était devenu obligatoire, d’autant plus qu’il représentait environ un quart du salaire annuel. Il n’a cependant pas réussi à convaincre le Tribunal fédéral (TF)(2), en raison de la réserve émise par l’employeur à chaque octroi de la gratification. En signalant que le bonus était facultatif, celui-ci se donnait la possibilité de le supprimer.
Le TF admet pourtant qu’une gratification versée régulièrement pendant de nombreuses années peut devenir obligatoire malgré une réserve de l’employeur. Car par son comportement, celui-ci vide la réserve de son sens. Mais encore faut-il, estime le TF, que l’employeur ait démontré, pendant toutes ces années, qu’il ne tenait pas compte des circonstances qui auraient pu l’inciter à supprimer les bonus, par exemple la baisse des résultats de l’entreprise ou les mauvaises performances de ses employés. Or, dans le cas particulier, Paul n’a pas apporté la preuve que la réserve était devenue caduque en raison de l’attitude de son employeur.
Le 13e salaire est dû
En conséquence, il faut admettre que la gratification (au sens de l’art. 322 d du Code des obligations) dépend en principe du bon vouloir de l’employeur, qui doit cependant signaler son caractère volontaire et facultatif. S’il n’émet aucune réserve, un bonus versé trois ans de suite devient obligatoire.
La gratification se distingue par ailleurs de toute rétribution dont le montant et l’échéance inconditionnelle sont fixés d’avance par le contrat de travail. Le treizième salaire, notamment, fait partie du salaire lorsque les parties en ont convenu ainsi. Et lorsque le contrat contient des termes équivoques tels que «gratification» (sans mention d’un caractère facultatif) ou «prime de collaboration», c’est l’employeur qui doit en supporter les conséquences et admettre qu’il s’agit d’un treizième salaire.
La gratification, elle, peut être accordée à certaines occasions (par exemple Noël) ou venir récompenser des employés pour leurs bonnes performances. Elle peut aussi représenter un geste envers certaines catégories de salariés (par exemple les plus anciens ou ceux qui ont une charge de famille). En tous les cas, elle doit respecter le principe de l’égalité de traitement. «Elle ne peut être octroyée à certains et refusée de manière arbitraire et injustifiée à d’autres», précise Remy Wyler, professeur de droit à l’Université de Lausanne.
Fin du contrat
Si le contrat prend fin avant l’échéance du13e salaire, celui-ci est payé au prorata de la durée des rapports de travail. Cette règle n’est valable pour une gratification que si le contrat le prévoit.
Mais lorsque les parties n’ont rien convenu, l’employé qui a résilié son contrat ne peut prétendre à l’intégralité de la gratification, même s’il est encore à son poste au moment où celle-ci est habituellement versée. Car un bonus n’est pas seulement une récompense pour les activités passées, mais aussi un encouragement pour le futur.
Suzanne Pasquier
(1)Prénom d’emprunt
(2)ATF 129III276