Graines de tournesol et de lin importées des USA ou du Canada, flocons de froment complets venus d'Amérique, huile de tournesol hongroise: chez Coop ou Migros, les labels «bio» ne garantissent pas toujours le choix le plus raisonnable sur le plan écologique. Une situation qui risque de perdurer: «Plus de la moitié du blé biologique consommé en Suisse est importé, essentiellement des USA, du Canada et de Hongrie. Si l’on considère la longueur du transport, c'est un non-sens écologique», reconnaît Toni Epp, responsable du programme Migros-Sano et Migros-bio pour les cultures maraîchères et céréalières suisses. Les distributeurs avouent toutefois leur impuissance: les paysans suisses produisent trop peu de blé biologique pour satisfaire la demande indigène.
Romands mitigés
Coop, qui fait venir le blé dur de ses spaghettis-bio du Canada et des USA, a pourtant un accord de partenariat avec l'organisation d'agriculture biologique Bio Suisse, prévoyant une priorité aux produits faits sur place. «Mais nous n'avons pas trouvé la quantité suffisante pour la fabrication de ces pâtes», explique Barbara Irniger, porte-parole de Coop-Suisse. Il est vrai que le problème se pose aussi pour les spaghettis conventionnels. Et les efforts menés par Bio Suisse pour convaincre davantage de producteurs, notamment en Suisse romande, d'augmenter leurs cultures de blé n'ont pas encore rencontré un succès fulgurant, admet son directeur Christof Dietler. «Le cahier des charges, exigeant, n'est pas compensé par une aide financière suffisante», estime-t-il.
Tintin pour le tournesol!
C'est également le seul manque d'huile de tournesol bio produite en Suisse qui a incité Coop à en faire venir de Hongrie, assure le grand distributeur. Même problème pour les graines de courge importées d'Autriche: le volume de la production en Suisse reste insuffisant au regard des besoins.
Migros affirme aussi vouloir donner la préférence aux produits biologiques suisses. Mais elle a également connu quelques déconvenues en voulant développer un pain aux graines de tournesol «made in Switzerland», en collaboration avec les stations fédérales de recherche agricole.
«La sorte de tournesol cultivée en Suisse convient bien pour faire de l'huile, mais moins bien pour en consommer les graines, explique Toni Epp. Et même si nous trouvions une variété de tournesol adéquate, la Suisse ne possède pas les machines nécessaires pour éplucher ces graines en masse afin de les rendre comestibles!»
Autre produit posant des problèmes de qualité du même type: les flocons d'avoine, utilisés soit dans la farine aux cinq céréales vendue aux personnes désireuses de faire leur pain elles-mêmes, soit tels quels, pour confectionner un bircher. «Nous avons rencontré de grosses difficultés, parce que les flocons d'avoine produits en Suisse, pour des raisons climatiques, n'étaient pas d'un calibre suffisant pour être destinés aux consommateurs (réd.: le peu d'avoine indigène est donc destiné aux chevaux...). Sans parler du prix, bien plus élevé en Suisse que celui des céréales importées bio.» On en arrive donc à un paradoxe de taille: les pays pouvant aujourd'hui revendiquer une culture «bio» des céréales sont souvent aussi ceux qui sont trop pauvres pour pouvoir utiliser des engrais!
D'autres produits posent moins de problèmes en termes écologiques, parce qu'ils sont plus facilement conservables, transportables, et traditionnellement absents de la production paysanne helvétique. C'est le cas des raisins secs, venus de Turquie ou (pour le label Coop Natura Plan) de Californie.
Problème de céréales
C'est donc essentiellement les céréales qui posent problème. Comme le résume Toni Epp: «Que ces produits respectent les exigences d'une production biologique n'est généralement pas discuté. Quant à savoir s'ils sont aussi écologiques, il y a là un doute qu'on ne peut écarter. Finalement, c'est au consommateur de décider, entre des pommes de terre bio cultivées en Suisse et du riz bio argentin, quel est le choix le plus judicieux en matière d'éco-bilan.»
Encore faut-il que la provenance lointaine de ces produits soit clairement mise en évidence. Coop Suisse, qui affirme que le consommateur «fait la différence entre le sigle du bourgeon bio signalant les produits suisses, et le sigle du bourgeon bio-étranger», prend peut-être un peu vite ses désirs pour des réalités. Quoi qu'il en soit, la question risque de perdurer. La nouvelle ordonnance sur l'agriculture biologique fixant les exigences minimales pour la mise en vente de produits végétaux suisses ou étrangers sous le label bio, en vigueur dès janvier prochain, ne tient pas compte de l’éco-bilan.
Sylvie Fischer