Aldi, Aperto, Carrefour, Casino, Coop Pronto, Denner, Globus, Manor, ces enseignes ont toutes vendu de l’alcool au moins une fois à l’une de nos trois enquêteuses mineures. Chez Denner et Manor, elles n’ont même jamais essuyé de refus. La plus jeune, âgée de 14 ans, est repartie de ces deux commerces avec une canette de bière; la seconde, 15 ans, avec un six pack alors que la troisième, 17 ans, aurait eu tout loisir de faire un coma éthylique en sifflant la bouteille de vodka ramenée dans son cabas.
Si les résultats de cette enquête menée avec notre partenaire On en parle (RSR/La Première) diffèrent quelque peu selon les enseignes, seule la grande surface Coop fait bonne figure puisqu’elle a opposé un refus systématique à nos trois jeunes. Dommage pour Coop que ce résultat soit terni par celui de Coop Pronto (situé dans une gare romande) où nos deux plus jeunes testeuses ont pu s’approvisionner en bière. La loi est pourtant claire: selon l’article 11 de l’Ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires, les boissons fermentées – donc le vin et la bière – ne peuvent être vendues aux moins de 16 ans.
L’article 41 de la Loi sur l’alcool quant à lui interdit la vente d’alcools distillés – alcools forts, alcopops – aux moins de 18 ans.
Notre test
Afin de vérifier le respect de ces obligations légales, nous avons demandé à trois filles mineures de tester chacune neuf commerces. Nous avons décidé de cibler les grandes enseignes (Aldi, Carrefour, Casino, Coop, Denner, Globus, Manor) ainsi que certains magasins établis dans les gares, à savoir Aperto et Coop Pronto. Les filles ont visité les mêmes points de vente, mais pas le même jour.
A chaque fois, la plus jeune de nos enquêteuses, 14 ans, devait tenter d’acheter une canette de bière, celle de 15 ans un six pack et la troisième, âgée de 17 ans, une bouteille de vodka. Elles ont toutes ajouté un paquet de chips pour faire diversion. Les adolescentes – qui ne paraissaient ni beaucoup plus âgées, ni beaucoup plus jeunes que leur âge – étaient discrètement accompagnées d’un journaliste et avaient pour consigne de mentir sur leur âge en cas de question.
L’avis des commerces
Sur un total de 27 tentatives, nos enquêteuses ont pu sans problème acheter de l’alcool à quinze reprises. C’est beaucoup trop!
Les distributeurs ont réagi aux résultats en se déclarant eux-mêmes très surpris et déçus, car la plupart d’entre eux affirment sensibiliser régulièrement leur personnel sur la question.
Mais alors, comment se fait-il que cela ne marche pas? Carrefour tente une explication: «La répétitivité des tâches des caissières peut expliquer le fait que des mineurs aient pu se procurer de l’alcool et échapper à leur vigilance. (…) De plus, la maturité apparente de certains jeunes peut être de nature à tromper le personnel des magasins.»
Système automatique aux caisses
Et que pense Coop de ses résultats louables en grande surface, mais décevants pour son Pronto? «Cela montre que nos contrôles fonctionnent sur le fond, mais ne sont pas exempts d’erreurs, explique le porte-parole du groupe. Cela montre aussi que la difficulté réside dans l’évaluation de l’âge des personnes.» Le distributeur dispose, il faut le souligner, d’un système qui avertit automatiquement la caissière lorsque la vente d’un article est liée à un âge minimum. Cette dernière doit alors valider l’information, ce qui permet d’exclure toute vente par inattention. D’autres enseignes, dont Denner et Manor, détentrices des plus mauvais résultats de notre test, nous ont annoncé qu’elles comptent introduire un système similaire dans le courant de cette année.
Manor, qui se dit «très choqué» par ses résultats, qualifiés d’«inacceptables», affirme qu’elle va aussi contacter immédiatement les responsables de ses différents magasins et «insister fortement sur l’importance du contrôle systématique en cas de doute quant à l’âge du client». Denner, jugeant ses résultats «surprenants et décevants», explique qu’en novembre dernier, ses chefs de vente avaient «personnellement abordé ce sujet avec tous les gérants de magasins». Le distributeur promet qu’il va leur demander d’intervenir à nouveau. Espérons qu’ils seront plus efficaces cette fois-ci... A noter que, devant l’ampleur du phénomène, le Conseil fédéral vient d’annoncer qu’il songe à relever l’âge minimal pour l’achat d’alcool à 20 ans.
Sébastien Sautebin