Il est fini le temps où les bébés devaient leurs bonnes joues au biberon de lait de vache additionné d’un peu de farine pour le rendre plus rassasiant! Les nourrissons d’aujourd’hui bénéficient certes d’une belle relance de l’allaitement maternel, mais aussi d’une large gamme d’aliments développés par l’industrie alimentaire. Au point qu’un bambin peut, théoriquement, s’en nourrir exclusivement du jour de sa naissance à sa première bougie, sans avoir jamais touché au sein de sa mère ni vu la couleur d’un légume.
Le «lait en poudre» a ainsi fait place aux laits infantiles «de départ» (dès la naissance) ou «de suite» (dès 4 mois), volontiers «H.A.» (pour «hypo-allergéniques») et de plus en plus souvent enrichis aux «probiotiques» (substances bénéfiques) du genre bifidus. Cette alimentation industrielle perfectionnée est-elle indispensable à la bonne santé de bébé? Ne peut-il plus manquer de rien?
Evolution positive
Pour les spécialistes, la panacée demeure le lait maternel. Mais lorsque son apport est insuffisant, et dès que l’enfant est sevré, les laits industriels sont irremplaçables. «Aux besoins des tout-petits en minéraux, vitamines et acides gras s’ajoute la nécessité d’un apport progressif en nutriments, pour tenir compte de leur système digestif immature, explique Yolande Chérica, diététicienne à l’Hôpital de l’Enfance de Lausanne. De fait, les laits industriels ont diminué le nombre de problèmes digestifs chez les nourrissons.»
Quant aux bouillies et aux petits pots qui prennent le relais de l’alimentation exclusivement lactée entre 4 et 6 mois, «ce sont d’excellents produits dotés de tout ce dont l’enfant a besoin en termes nutritionnels,», précise le Dr Lyonel Rossant, pédiatre spécialiste de la nutrition et auteur de plusieurs ouvrages incontournables (Votre enfant, Robert Laffont; Le pédiabook, Minerva).
Copier la nature
Bon, mais est-il nécessaire de rendre les aliments pour bébés hypo-allergéniques, ou de les enrichir de «probiotiques»? Oui, répond (évidemment) Ulrich Preysch, chef du Département produits infantiles et diététiques chez Nestlé Suisse SA: «Nous ne faisons qu’essayer de copier la nature! La flore intestinale d’un bébé allaité est naturellement bifidogène, et les effets bénéfiques des probiotiques sont prouvés sur le plan clinique.
Une étude allemande a ainsi montré que donner ces bactéries aux nourrissons réduit énormément le risque d’allergies alimentaires.»
Réduire les risques
Médecin-chef du service de pédiatrie de l’Hôpital de Sion, le Dr Guy Délèze est plus nuancé: «L’espoir de préve-nir les maladies allergiques par une alimentation spé-
ciale s’amenuise, constate-t-il. Leur nombre n’a d’ailleurs pas diminué depuis l’arrivée sur le marché des aliments H.A.» Quant aux probiotiques, il n’en conteste pas les perspectives, mais trouve prématuré d’en déduire aujourd’hui des effets bénéfiques à long terme au niveau de la santé publique.
La question de l’efficacité des bifidus, acidophilus et autres lactophilus reste posée. Celle des éventuels manques dont souffrira un «bébé Nestlé» aussi. Pas de surprise: sur le plan strictement nutritionnel, un bébé nourri exclusivement aux laits infantiles, puis aux bouillies et petits pots, ne manquera en principe de rien.
Pourtant, observe le Dr Délèze, «les facteurs immunologiques du lait maternel sont toujours inégalés»; de même, on peut reprocher aux petits pots de favoriser le «syndrôme du mixer»: habitué à de trop fluides bouillies, l’enfant en âge de mâcher refuse les morceaux. «Mastiquer fait saliver, ce qui est une part importante de la digestion: beaucoup d’enfants qui se plaignent de maux d’estomac ne mâchent simplement pas assez», fait d’ailleurs remarquer Yolande Chérica.
Essentiel
En réalité, ce que l’alimentation industrielle ne peut pas apporter ne se mesure pas
en besoin en vitamines ou oligo-éléments: «Ne manger que des aliments industriels durant la première année de vie, c’est hypothéquer une part de l’éducation au goût, se priver d’une importante satisfaction personnelle, et se paver la route vers une alimentation d’adulte à base de conserves et de micro-ondes», analyse le Dr Rossant. Ce que confirme Yolande Chérica: «Ne pas prendre le temps de préparer soi-même des aliments incite au gaspillage. Et c’est oublier que nourrir un enfant développe avec lui une relation fondamentale.» Comme le dit le proverbe: l’amour passe par l’estomac. Surtout celui d’un tout-petit.
Blaise Guignard