Françoise M. (nom d’emprunt) a de gros frais de santé. La jeune femme séropositive suit une trithérapie, qui l’oblige à de nombreuses consultations médicales et prises de sang. Quant aux médicaments, à prendre à vie, ils coûtent près de 20 000 fr. par an. Pour réduire ses dépenses, elle a changé de caisse maladie au début de l’année, et opté pour Assura, l’une des plus avantageuses.
«Bien mal m’en a pris, car j’ai l’impression qu’Assura fait tout pour se débarrasser d’une cliente comme moi, qui coûte plus cher qu’elle ne rapporte», déplore-t-elle. La caisse lui a en effet annoncé qu’elle lui facturerait dorénavant non pas 10% de quote-part, mais 20% sur ses frais de trithérapie.
Motif: notre lectrice est cliente de l’une des pharmacies du groupe Victoria. Or, sous le label Pharmaciens solidaires, ces officines remboursent à leurs clients le 10% de quote-part.
Assura, qui conteste cette façon de faire, a décidé d’en faire payer le prix à ses assurés: sur une facture de 1000 fr., par exemple, elle ne prendra en charge que 800 fr. au lieu de 900 fr. L’assuré doit donc payer 200 fr., et ne récupérera que 100 fr. chez Victoria. Donc, il n’y gagne rien, Assura si.
Explications de Laurence Tschopp, juriste de la caisse: «Le remboursement par Victoria est contraire à la LAMal, qui veut responsabiliser les patients par une participation à leurs frais médicaux.» Et d’annoncer que tous ses assurés qui sont également des clients de Victoria, se verront déduire 10% de plus sur leurs remboursements de frais médicaux. Mais uniquement s’ils informent Assura qu’ils comptent se faire rembourser la quote-part par leur pharmacie. Bon à savoir!
A l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), on confirme cependant qu’aucune base légale actuelle ne permet de déclarer l’action de Victoria illégale. Ni de prélever plus que les 10% de quote-part à ses assurés. Mais on soutient
moralement Assura: «La LAMal veut responsabiliser l’assuré et les caisses ne devraient pas payer davantage que le coût effectif d’une prestation
pour le patient, explique Dominique Marcuard, collaboratrice scientifique de l’Office. Nous réfléchissons depuis plusieurs années au moyen d’empêcher de tels cadeaux d’un prestataire à ses seuls clients. Ces rabais devraient revenir aux caisses, ce qui se répercuterait sur le montant des primes à payer par l’ensemble des assurés.»
En attendant le résultat des cogitations fédérales, aucune autre caisse maladie ne profite de l’action des Pharmaciens solidaires. Assura joue donc au justicier solitaire. «C’est vrai, concède Laurence Tschopp, et nous ne sommes pas à l’aise avec cette situation. Mais il s’agit d’une question d’éthique. Si nous fermons les yeux comme les autres caisses, nous acceptons que l’assuré s’enrichisse. Cela prouve que l’action de Victoria n’est pas juste.»
Pourquoi dès lors ne pas attaquer la chaîne, au lieu des assurés? «Parce qu’il n’existe aucune disposition légale pour l’interdire», doit admettre Mme Tschopp.
Contestation
Pour mettre fin à ce «malaise», la juriste encourage d’ailleurs les personnes concernées à contester la décision de la caisse en justice: «Ainsi on saura ce que veut le législateur, et si ces rabais sont légaux.» Il se pourrait qu’elle soit entendue par notre jeune lectrice. Qui craint, si elle ne peut plus bénéficier du remboursement de Victoria, de devoir interrompre son traitement, faute d’argent: «Je tomberai alors fatalement malade et coûterais beaucoup plus à Assura.»
Ellen Weigand
comment ConTester
Procédure entièrement gratuite
Vous êtes un assuré d’Assura et dans le même cas que notre lectrice? Vous pouvez contester la décision de la caisse de prélever les 10% supplémentaires, tout comme d’autres décisions d’autres assureurs refusant de prendre en charge certaines prestations. Voici comment procéder:
• Demandez une «décision» officielle à votre caisse, qui devra justifer sa décision dans les 30 jours suivant votre demande en indiquant les voies de recours.
• Si vous désapprouvez sa décision, faites-le lui savoir, avec vos raisons, dans un délai de 30 jours. Elle doit alors rendre une «décision sur opposition», dans un délai «raisonnable» (estimé en général à moins d’un an).
• Si cette dernière décision ne vous convainc toujours pas, vous pouvez vous adresser au Tribunal cantonal des assurances de votre canton ou du canton du siège de l’assureur par un simple courrier qui contiendra: les faits, vos arguments et conclusions contre la décision, ainsi que d’éventuelles pièces justificatives.
• Vous pouvez aussi recourir si l’assureur n’a pas rendu de décision ni de décision sur opposition malgré votre demande.
• Le tribunal donnera un droit de réponse à l’assureur, et, le cas échéant, ordonnera une audience d’instruction pour entendre les parties. Une fois l’instruction close, le tribunal rendra son jugement.
Toute la procédure est gratuite pour l’assuré.
Pour avoir plus d’informations, adressez-vous à l’ASSUAS (Association suisse des assurés):
GE ( (022) 310 13 23
VD ( (021) 653 35 94
FR ( (026) 466 36 29