Il faut le reconnaître: les locataires romands ont connu des jours meilleurs. A
la hausse des taux hypothécaires répond la pénurie d’appartements que connaissent notamment Vaud et Genève. Et ailleurs, le bas niveau des salaires grossit d’autant la part que les ménages doivent consacrer au logement.
Bref, les logements bénéficiant de l’aide publique, les fameux «subventionnés», sont plus nécessaires que jamais. Surtout en ville, où se concentrent les revenus modestes: «A Lausanne, 80% des ménages ont théoriquement droit à un logement subventionné», observe Elinora Krebs, cheffe du service du logement du chef-lieu vaudois. Le système actuel d’aide au logement vit pourtant son chant du cygne: dès janvier 2002, la loi encou-
rageant la construction et l’accession à la propriété (LCAP), sur laquelle sont fondées les subventions fédérales, sera abrogée, et le financement de nouveaux projets supprimé. Seuls les programmes en cours recevront leur part de manne.
Un régime de prêts
Certes, la Confédération n’entend pas fermer définitivement le robinet: les experts de l’Office fédéral du logement (OFL) planchent sur un nouveau système d’aide au logement (voir encadré). Non qu’ils considèrent le régime en place depuis 1975 comme un échec. Mais en un quart de siècle, la réalité économique a évolué.
La LCAP est d’abord un système de prêts remboursables garantis par des hypothèques: les «abaissements de base» définis dans la loi. La Confédération octroie en effet aux maîtres d’œuvre des avances remboursables qui leur permettent d’abaisser le loyer à un niveau initial situé au-dessous des coûts effectifs. Le loyer augmente ensuite tous les 2 ans d’un certain pourcentage. Au bout d’une dizaine d’années, il dépasse les frais effectifs, et permet au bailleur de commencer à rembourser l’avance fédérale. La dette, intérêts compris, sera épongée en 25 à 30 ans environ. Naturellement, les logements ainsi aidés doivent répondre à certaines exigences techniques, par exemple une surface minimale en fonction du nombre d’occupants.
n 70 000 objets
n subventionnés
Mais la loi prévoit aussi de véritables subventions non remboursables, des «abaissements supplémentaires». Ils sont octroyés directement aux locataires satisfaisant à des critères de revenu et de fortune, ainsi qu’à certaines catégories de la population: personnes âgées, handicapés, etc. (voir encadré).
Comme toujours, la Confédération impose, et les cantons disposent: à eux de mettre en place le système prévu par Berne. Libre à eux de le compléter par des encouragements supplémentaires ou d’instaurer en parallèle un système d’aide
au logement totalement indépendant, comme l’a fait par exemple le canton de
Vaud. En 25 ans, quelque 70 000 immeubles locatifs ont ainsi fait l’objet de l’aide fédérale en Suisse (on ne parlera pas ici de l’encouragement de l’accès à la propriété, autre volet de la LCAP).
Pas que des HLM
A bien des égards, c’est un succès, de l’opinion de Jacques Ribaux, directeur suppléant de l’Office fédéral du logement: «Contrairement au système antérieur, basé uniquement sur l’octroi de subventions, la LCAP a permis d’éviter de favoriser la seule construction d’immeubles genre HLM, entraînant la «ghettoïsation» des revenus modestes. Au contraire, on a abouti à une élévation globale de qualité des logements subventionnés. Et la mise à disposition de ces logements a permis de fluidifier le marché de l’immobilier, surtout dans les années difficiles.»
Mais le régime a aussi ses inconvénients. Ainsi, le système des avances remboursables répercutées sur le loyer a pour conséquence une hausse programmée et fixe de ce dernier. Une pilule difficile à faire avaler aux locataires, même si cette hausse bisannuelle se révèle, à l’usage, moins importante que celle résultant de la fluctuation des taux hypothécaires. Une pilule dont l’amertume dépend aussi du niveau de santé du marché immobilier: «Les loyers des immeubles subventionnés construits en plein boum des années 80, à des coûts exorbitants, ont pratiquement atteint le niveau des loyers du marché par l’effet de l’augmentation programmée», souligne Elinora Krebs.
Effet yoyo
Corollaire de l’effet yoyo: les immeubles construits après le boum, eux, affichent des loyers très bas… presque au niveau des subventionnés. «C’est inhérent au système LCAP, soupire Ernst Hauri, chef d’état-major de l’OFL. Tout comme le fait que le Parlement a tendance à se montrer large en avances lorsque les temps sont durs et les taux élevés… Or, la facture tombe généralement 3 ou 4 ans plus tard, lorsque la situation est revenue au calme. Les dépenses d’aide au logement semblent alors injustifiées.»
Le système a l’air complexe? Il l’est. «Un vrai mouvement d’horlogerie, sourit Jacques Ribaux. Cela nécessite une gestion d’immeubles sourcilleuse; or, nous avons parfois constaté de grosses lacunes à cet égard. Dans certains immeubles, les loyers n’avaient pas été augmentés une seule fois en dix ans!» Difficile en ces conditions de rembourser la dette contractée en-vers la Confédération. Mais le principal écueil émerge lors des ventes forcées: les banques rechignent aujourd’hui à reprendre des immeubles grevés de dettes à la Confédération, garanties par des hypothèques de 1er rang. Résultat: l’OFL solde le système, règle une facture d’un peu plus de 1,6 milliard de francs… et planche sur un nouveau régime (voir encadré).
Blaise Guignard
limites de revenu
Qui a droit aux «subventionnés»?
L’aide fédérale au logement, dans son volet «locatifs», s’articule essentiellement autour de deux prestations: un régime de prêts remboursables — les abaissements de base — et l’octroi de subventions à fonds perdu — les abaissements supplémentaires.
• Abaissements de base: c’est l’«aide à la pierre» au sens strict, un prêt consenti par la Confédération aux maîtres d’œuvre de façon à permettre de fixer des loyers au-dessous du coût effectif, soit à 5,6% du coût de revient (la valeur totale du logement moins les charges). Occuper un immeuble construit grâce aux abaissements de base ne nécessite aucune condition particulière pour le locataire, qui n’est pas le destinataire direct de la prestation.
• Abaissements supplémentaires: c’est l’aide «à la personne», non pas un prêt, mais une prestation gratuite, octroyée aux locataires en fonction de leur revenu et pour une durée limitée. Le système distingue encore entre «AS I» et «AS II».
• AS I: ce sont les abaissements les plus courants, qui permettent d’abaisser encore le loyer de 0,6% du coût de revient de l’appartement. Pour y avoir droit, le locataire doit établir que son revenu ne dépasse pas 50 000 fr. par an; chaque enfant à charge augmente ce plafond de 2300 fr. Le barème tient aussi compte de la fortune: une limite de 144 000 fr. est posée, relevée de 16 900 fr. pour chaque enfant à charge. Les AS I sont versés durant un maximum de 15 ans, et sont également soumis à des critères de surface du logement en fonction du nombre d’occupants (généralement 1 pièce de plus que le nombre d’occupants, 2 pièces lorsqu’il s’agit d’un ménage avec enfants).
• AS II: ils permettent d’abaisser le loyer de 1,2% du coût de revient, et sont versés aux personnes âgées, aux étudiants ou aux invalides, pour une durée maximale de 25 ans.
Il existe d’autres abaissements, III et IV, correspondant en réalité à une majoration des AS I et II, octroyée par la Confédération à condition que cantons ou communes versent une prestation équivalente.
Plusieurs cantons ont en outre mis en place un régime de subventions similaire aux abaissements supplémentaires, mais selon un barème différent.
2e encadré
Nombre d’immeubles locatifs ayant bénéficié de l’aide fédérale en Suisse romande1:
Berne: 4918
Fribourg: 3 131
Genève: 1175
Jura: 485
Neuchâtel: 991
Vaud: 3 194
Valais: 508
TOTAL 14 402
1On considère seulement l’aide fédérale et non les immeubles ayant bénéficié des aides fédérale et cantonale combinées (AS III et IV)Source: OFL, 2001
3e encadré
avenir
Profil du nouveau régime
Par quoi remplacer la LCAP? Un projet de loi est actuellement mis au point et devrait être soumis à la consultation des Chambres fin mars. Un calendrier optimiste prévoit une nouvelle loi pour 2003.
Position renforcée
Ce nouveau régime remplacera le modèle des abaissements de base par un système de prêts aux maîtres d’œuvre, à taux d’intérêt dégressif en fonction du nombre de logements subventionnés proposés dans l’immeuble en construction. Un système inspiré de ce qui se fait dans certains cantons ou à l’étranger. Jacques Ribaux, y voit un double avantage: «Un prêt octroyé en une seule fois renforce la position du maître d’œuvre face aux banques. En outre, en ne finançant qu’une partie des logements d’un immeuble, on évite de créer des ghettos sub-
ventionnés.» Le directeur de l’OFL évoque aussi le maintien de la qualité des logements (le propriétaire bénéficiant du prêt devrait se soumettre à certaines règles de qualité et de coûts), et la priorité accordée à la rénovation d’immeubles existants plutôt qu’à la construction de nouveaux logements.
Points incertains
Mais plusieurs points demeurent incertains: si l’amortissement du prêt est naturellement répercuté sur le loyer, faut-il préférer un amortissement linéaire ou progressif? Et comment éviter de reproduire les problèmes liés au système de hausse de loyer de la LCAP? Autant de questions sur lesquelles planche aujourd’hui l’OFL.