L’entreprise de construction Salamin à Grimentz emploie quelque 20 personnes, pour plupart des pères de famille. C’est donc un important employeur du Val d’Anniviers. Pour les allocations familiales, les frères Salamin versent 5,5% des salaires à la caisse de compensation professionnelle du bâtiment valaisan, soit davantage que pour l’AVS.
Il en va tout autrement pour un cabinet d’avocats ou de médecins zurichois. Ils déboursent moins d’un demi- pour cent pour les allocations familiales. Certes, en Valais elles sont aussi plus élevées, mais surtout, les médecins et les avocats emploient peu de pères ou mères de famille: ils peuvent donc économiser passablement de primes.
Pour supprimer ces inégalités, la conseillère nationale socialiste Angeline Fankhauser (BL) avait exigé une loi fédérale unifiant les prétentions aux allocations familiales et les parts salariales selon le principe très simple d’une allocation par enfant.
Une telle loi détaillée, respectivement une loi-cadre, laissant la majorité des compétences aux cantons, sont d’ailleurs prêtes, à choix, pour être soumises au vote. Mais lors de la dernière table ronde réunie par Kaspar Villiger avec les employeurs et les syndicats pour ficeler un paquet d’économies fédérales, le projet de loi est passé à l’as. Du moins provisoirement, comme on le dit officiellement.
Motif: si, comme le prévoit le projet, les enfants de toutes les personnes sans activité lucrative ou indépendantes devaient aussi recevoir des allocations, Berne et les cantons auraient à débourser 200 millions supplémentaires chaque année.
«Les primes uniques ne sont pas dénuées de sens, estime pourtant Hans Rudolf Gysin, directeur de l’USAM bâloise (Union suisse des arts et métiers) et conseiller national radical. Mais chaque canton doit pouvoir décider seul du montant des allocations.» Un avis que ne partage pas Jost Herzog, chef de la centrale pour les questions familiales de l’OFAS (Office fédéral des assurances sociales), qui trouve une telle solution irréaliste: «Des primes uniques à l’intérieur des cantons sont presque inimaginables; la plupart d’entre eux sont tout simplement trop petits pour permettre une harmonisation entre les différentes branches de l’économie.»
Parents seuls pénalisés
En matière d’allocations familiales, ce fédéralisme à outrance ne nuit pas seulement aux employeurs. Les pères et les mères célibataires en pâtissent particulièrement, victimes qu’ils sont de dispositions cantonales parfaitement contradictoires. En matière d’allocations familiales, chaque canton est en effet libre de promulguer ses propres lois et règlements. D’où une véritable jungle de dispositions: à côté de 26 lois cantonales, il existe en plus deux lois fédérales, l’une pour les agriculteurs, la seconde pour les fonctionnaires de la Confédération. Conséquence: certains parents qui élèvent leurs enfants seuls ne touchent pas ou seulement une partie des allocations qui devraient leur revenir.
Cas exemplaire: celui d’Agnès Koch de Ramsen (SH). Depuis que cette employée de La Poste est divorcée, elle touche une allocation familiale d’environ 30%, correspondant à son travail à temps partiel. Les autres 70% devraient, selon le jugement du divorce, provenir de son ex-mari, un boucher tessinois. Ce dernier serait d’ailleurs d’accord de transmettre la part d’allocations familiales qu’il touche de son employeur à son ex-femme. Mais la caisse de compensation tessinoise des bouchers refuse de verser les allocations à l’employeur de l’ex-mari. Car selon la loi tessinoise, Agnès Koch n’aurait droit aux allocations que si elle n’exerçait pas d’activité lucrative!
En tant qu’employée à temps partiel, elle devrait donc faire valoir son droit au total des allocations à son propre employeur. Ce qui pourrait se faire sans problème dans le canton de Schaffhouse. Cependant, comme Mme Koch est employée fédérale, elle est soumise à la loi pour les fonctionnaires fédéraux et non à la loi cantonale. Or, la loi fédérale ne prévoit des allocations qu’à hauteur du temps de travail effectué – donc environ 30% dans le cas précis…
En conclusion, seule une fastidieuse procédure légale pourrait permettre de savoir comment – et si vraiment – Agnès Koch peut obtenir son argent!
La situation la plus déplorable en la matière règne dans le canton de Zurich. Là, un homme divorcé peut carrément exiger l’interruption des versements à son ex-femme domiciliée dans un autre canton. Car selon la loi zurichoise, il est seul à pouvoir prétendre aux allocations familiales. Et personne ne se soucie de savoir s’il verse ensuite l’argent à la mère et à l’enfant.
Défense des privilèges
Ce sont surtout les employeurs qui se sont révélés être les fossoyeurs d’une solution plus équitable. On peut s’en étonner, car le projet de loi ne prévoit pas de charges supplémentaires pour eux. Les coûts supplémentaires seraient exclusivement couverts par les employés et les contribuables.
Toutefois, il y aurait aussi de forts changements selon les secteurs et cantons, comme le montre notre exemple de départ, relatant les différences des prestations fournies par un entrepreneur du bâtiment valaisan et les médecins ou avocats zurichois. Avec la nouvelle loi, tout le monde devrait payer une prime moyenne de 1,9%. Il va dès lors de soi que les secteurs privilégiés mettent tout en œuvre pour empêcher une solution unificatrice.
Mais l’industrie aussi tente de tirer son épingle du jeu: dans le canton de Zurich par exemple, les entreprises importantes ne sont pas obligées de s’affilier à une caisse de compensation. Elles ont la possibilité de verser directement les allocations aux parents, comme une espèce de supplément salarial. Du coup, il n’est malheureusement pas exclu que certains employeurs utilisent le nombre d’enfants comme critère de sélection au moment d’embaucher!
CE QUE PAIENT LES CANTONS
Valais, le plus généreux
Allocations familiales (en francs) selon le droit cantonal pour les salariés dont les enfants vivent en Suisse (état au 1.1.98).
La limite d’âge ordinaire est en général fixée à 16 ans, excepté dans les cantons de Fribourg (15 ans) et de Genève (18). Les cantons romands (sauf Berne) versent également des allocations de naissance ne figurant pas sur ce tableau.
(1) Premier montant versé pour chacun des 2 premiers
enfants, second dès le 3e enfant.
(2) Premier chiffre: enfants de moins de 15 ans;
second chiffre: enfants de plus de 15 ans.
(3) Premier montant versé pour les 2 premiers
enfants, deuxième montant pour les familles de
trois enfants (versé pour chacun des enfants) et plus.
(4) Dans l’ordre: allocations versées pour le 1er,
le 2e, le 3e et à partir du 4e enfant.
(5) Min. légal: chaque caisse peut verser plus selon
ses possibilités.
(6) Pour le 3e enfant et chacun des suivants, il est
versé en plus 170 fr. si les enfants résident en
Suisse. L’allocation pour enfant s’élève à 185 fr.
pour les enfants de 16 à 20 ans incapables
de gagner leur vie.
Informations détaillées dans la brochure Genres et montants des allocations familiales, à commander au prix de 1,50 fr. à l’Office central fédéral des imprimés et du matériel, 3000 Berne, no. commande: 318.820.98 f 800 et dans les caisses cantonales de compensation.
LA PART DES PATRONS
De 1,8% à 3%
Ci-dessous les cotisations versées par les employeurs romands affiliés à la caisse cantonale pour les allocations familiales en % des salaires. Ce sont les patrons du Jura qui paient le plus. Ceux de Bâle-Ville déboursent le moins (1,2%).