Apple a cédé. Le géant californien vient de débloquer 53 millions de dollars pour clore une action collective (class action) impliquant 150 000 consommateurs. La garantie de leur iPhone ou de leur iPod leur avait été refusée, sous prétexte qu’ils étaient responsables de la panne. Des bandes réactives, situées dans les appareils, indiquaient qu’ils avaient été en contact avec des liquides. Or, le fabricant 3M a reconnu qu’elles étaient défectueuses et qu’un fort taux d’humidité suffisait à provoquer la réaction chimique.
Apple a préféré négocier. Chaque plaignant recevra jusqu’à 300 dollars. Le montant précis dépendra du modèle de son appareil et des honoraires de son avocat. Ces derniers sont inconnus, mais la loi américaine prévoit un maximum de 30% du montant obtenu.
Ferrero, chocolat…
Ce cas est loin d’être inédit aux USA. Les actions collectives, qui permettent de fusionner un grand nombre de plaintes individuelles, y sont même courantes. L’an passé, les Cours fédérales ont traité plus de 6300 class actions, comme celle contre Ferrero, qui est passé à la caisse pour 3 millions de dollars. Une mère de famille avait argué que le Nutella n’était pas aussi sain que la publicité le laissait entendre. Ferrero s’est engagé à payer 4 dollars pour tout pot vendu entre 2008 et 2012. La multinationale a dès lors modifié ses déclarations marketing et mieux détaillé ses emballages.
Dans ces deux cas, de petits David américains, appuyés, il est vrai, par de puissants cabinets d’avocats, ont fait plier d’immenses Goliath. Les montants sont ici encore relativement modestes, mais ils atteignent des centaines de millions de dollars dans certaines affaires.
Cette victoire des faibles contre les forts peut faire rêver les consommateurs européens. Pourtant, la class action à la sauce américaine compte de nombreux détracteurs, qui la considèrent comme le modèle à ne pas imiter. Ces derniers pointent du doigt les dérives aux USA: lancement à tout va de procédures abusives dans le but de toucher le jackpot, amendes faramineuses, entreprises tétanisées, etc. Autre problème, «le système américain est peu compatible avec les principes procéduraux et le droit matériel continental», souligne François Bohnet, professeur de droit à l’Université de Neuchâtel. Le droit suisse interdit par exemple le pactum de quota litis, usuel dans les class actions, et par lequel, l’avocat convient que sa rémunération sera calculée en pourcentage des montants qu’il parviendra à obtenir.
La class action est donc difficilement copiable en l’état. Cela ne signifie pas que le Vieux-Continent est hermétique aux avantages du recours collectif*. Plusieurs pays, comme l’Italie et le Portugal, ont d’ailleurs déjà mis en place leur propre système, avec des procédures qui varient sensiblement. D’autres, comme la France, sont en phase de les rejoindre, après avoir longtemps tergiversé. Dans l’Hexagone, les actions collectives devront passer par l’une des associations de consommateurs agréées par l’Etat. Elles s’appliqueront uniquement aux domaines de la consommation et de la concurrence, et pas à la santé ni à l’environnement entre autres. Elles excluront aussi les préjudices corporels ou moraux. Ce qui revient à dire que les nombreuses victimes françaises des prothèses mammaires PIP, par exemple, ne pourraient pas obtenir collectivement réparation.
Recommandation de l’UE
Dans l’UE, la situation est appelée à évoluer rapidement. La Commission européenne vient d’émettre, le 11 juin, une recommandation, non contraignante il est vrai. Elle préconise «aux Etats membres de se doter de mécanismes de recours collectif pour garantir à leurs justiciables un accès effectif à la justice». Le tout dans un délai maximal de deux ans et dans différents domaines comme la protection des consommateurs, de l’environnement, la concurrence et les services financiers.
Insatisfaisant en Suisse
Dans un rapport publié en juillet, le Conseil fédéral souligne que les instruments actuels du droit suisse ne permettent pas de faire valoir des dommages collectifs et d’obtenir réparation. «Ils sont insatisfaisants, du fait qu’ils reposent majoritairement sur un système de réparation individuel et que les instruments collectifs véritables font défaut», conclut-il.
Le rapport cerne les pistes à creuser, comme l’amélioration du droit actuel, mais aussi l’instauration d’«instruments véritables de mise en œuvre collective des droits» inspirés des modèles allemand, autrichien ou encore néerlandais. En revanche, le Conseil fédéral prévient qu’il n’est pas question d’imiter la class action américaine.
Sébastien Sautebin
*Bonus web:le poids des actions collectives