Les particuliers ont le droit d’importer des médicaments pour leur propre consommation, même ceux vendus sur ordonnance seulement en Suisse!(1) Seule exception: les psychotropes et les stupéfiants(2). Or l’internet rend l’achat de médicaments, autorisés ou non, plutôt simple. Cela d’autant que les douanes suisses n’effectuent pas de contrôle spécifique des envois de médicaments.
Ce que les cyberconsommateurs doivent savoir, c’est que rien ne prouve l’authenticité des substances vendues en ligne. Et qu’ils seront de toute façon insuffisamment informés des risques encourus. C’est le résultat très alarmant d’une enquête menée par Bon à Savoir et l’émission On en parle, de la Radio Suisse Romande.
La commande
Nous avons commandé trois des best-sellers des ventes en ligne sur onze sites étrangers:
• Cinq fois du Viagra (dont un prétendu générique, alors qu’il n’en existe pas encore).
• Quatre fois de la phentermine, un coupe-faim classé parmi les psychotropes et donc interdit d’importation par les privés.
• Deux fois du Valium (autre psychotrope).
Aucun des sites ne mentionnait d’adresse postale ou de numéro de téléphone. Impossible donc de se renseigner sur l’origine des médicaments ni de vérifier l’existence et le sérieux de l’entreprise, et encore moins de réclamer.
Si tous les sites ont voulu connaître notre numéro de carte de crédit, aucun n’a exigé d’ordonnance! Il a certes fallu remplir des questionnaires de santé, parfois sommaires, parfois plus détaillés, censés donner une touche de sérieux au site. Jamais nos réponses n’ont empêché l’achat. Sauf là où nous avions indiqué un poids et une taille insuffisants pour être considéré comme obèse et justifiant la prise de phentermine. Mais il a suffi de rectifier ces indications pour que la commande soit acceptée! Au lieu d’un véritable «web doctor», nous n’avions probablement affaire qu’à un simple programme de calcul.
Seules cinq commandes sur onze nous sont parvenues: quatre colis de Viagra, dont le «générique», et un envoi de phentermine. La majorité des autres achats n’ont jamais abouti, certains sans qu’on sache pourquoi, d’autant qu’ils avaient été débités sur notre carte de cré-dit! Nous avons tenté de réclamer par e-mail, faute d’adresse postale, mais en vain. Unique recours possible: contester les montants débités sur notre carte de crédit au moment de recevoir le décompte mensuel.
Même si la douane n’effectue aucun contrôle systématique des envois de médicaments, une de nos com-
mandes de Valium, postée au Pakistan, a été interceptée et transmise à Swissmedic. L’institut de contrôle des médicaments, comme le veut la procédure, en a informé le destinataire (notre rédaction), et a indiqué que le Valium sera détruit après un dé-lai de recours de trente jours.
Dans le même courrier, Swissmedic informait des risques des achats de médicaments en ligne et indiquait qu’il n’y aurait pas de poursuites judiciaires. «Mais si nous découvrons un deuxième envoi de médicaments interdits pour le même destinataire, celui-ci ne s’en tire plus à si bon compte, et devra payer une amende», souligne Pierre-Alain Délèze, chef de division à la douane de Genève.
Les emballages reçus par nos rédactions faisaient aussi sérieusement douter du contenu! Pour exemple, cette boîte de conserves sur laquelle était indiqué qu’il s’agissait de wax (cire), contenant une boîte de Viagra déchirée et recollée grossièrement.
Analyse
Restait à connaître les composants des pilules, analyse confiée au Laboratoire de toxicologie et chimie forensiques de l’IUML (Institut universitaire de médecin légale) à Lausanne. Les experts ont examiné si le bon principe actif était présent dans les cinq produits et à quel dosage, et recherché s’ils contenaient d’autres molécules.
Résultat: tous les échantillons étaient «propres» et contenaient la véritable substance active, au dosage exact, excepté la phentermine. Elle ne contenait que la moitié (15,4 mg) de la dose indiquée (30 mg).
Malgré ce résultat, il peut s’agir de contrefaçons, d’ailleurs toujours plus nombreuses sur l’internet. Comme l’explique le Dr Marc Augsburger, directeur du laboratoire de l’IUML: «Seul le fabricant connaît la composition exacte de ses médicaments et peut identifier les contrefaçons». «Et même si la substance, la pureté, le dosage et la forme sont identiques, il n’est pas sûr que la biodisponibilité (n.d.l.r.: pourcentage du médicament absorbé par l’organisme) soit équivalente, souligne Marcel Mesnil, secrétaire général de la SSPh (Société suisse des pharmaciens). De plus, on ignore si le produit a été conservé convenablement et n’est pas frelaté.»
La plupart des posologies fournies avec les médicaments livrés ne rassuraient guère plus sur leur authenticité: très sommaires, se résumant parfois à une phrase (sic) en anglais, voire en turc seulement, et n’énumérant qu’insuffisamment, voire pas du tout, les contre-indications et effets secondaires.
Risques mortels!
Or, les risques sont énormes! «Des patients, atteints de maladies cardiovasculaires et qui ont pris du Viagra sans contrôle médical sont décédés, rapporte M. Mesnil. Il pose en effet problème lors de troubles cardiaques et associé à certains médicaments. Il peut aussi provoquer des étourdissements et troubles de la vue, rendant inapte à conduire! Et prendre du Viagra sans connaître l’origine du trouble de l’érection risque de l’aggraver.»
Quant aux accidents dus à un usage abusif de phentermine, ils sont légion: hypertension artérielle et pulmonaire, graves troubles psychotiques avec dépendance, dépression à l’arrêt de la prise, etc. La substan-ce a d’ailleurs été interdite dans l’Union européenne avant 2001 déjà (son rapport bénéfice/risque ayant été jugé défavorable). Elle reste autorisée de vente en Suisse, mais à des conditions très strictes.
Législation lacunaire
Dès lors, il est d’autant plus étonnant que la Loi sur les produits thérapeutiques (de 2000), autorise les particuliers à importer des médicaments. «C’est un scandale! dénonce Marcel Mesnil. On interdit le self-service du médicament en Suisse, mais il est autorisé si les gens s’approvisionnent à l’étranger.»
Mais indépendamment de cette lacune de la législation suisse, le problème dépasse nos frontières, constate encore Marcel Mesnil. Avis partagé par Laurent Medioni, chef de la section stupéfiants de Swissmedic. Qui appelle aussi de ses vœux une meilleure coordination internationale. Ce mois-ci, les autorités sanitaires internationales devaient d’ailleurs se rencontrer pour élaborer une meilleure collaboration. Cela pour rendre plus difficile le trafic de médicaments classés parmi les psychotropes.
Site suisse dénoncé
Les envois reçus par nos rédactions venaient tous de l’étranger: Amsterdam, Bahamas, Etats-Unis, Israël et Istanbul. En Suisse, la vente de médicaments par correspondance est interdite, sauf exceptions soumises à des conditions strictes. Notamment si le patient a une prescription, même pour les préparations vendues sans ordonnance.
Pourtant, certains n’hésitent pas à se lancer sur ce marché juteux: Swissmedic a récemment porté plainte pénale contre un site zurichois de vente illégale de produits pharmaceutiques. Mais le site est resté ouvert, et nous avons pu y acheter un somnifère sans ordonnance, livré dans les 24 heures, mais bien plus cher qu’en pharmacie!
Dans tout les cas, qu’il s’agisse de sites suisses ou étrangers, les experts sont unanimes: n’achetez jamais de médicaments sur l’internet, car c’est mettre votre santé en jeu!
Ellen Weigand
(1)Loi sur les produits thérapeutiques (LPTh, art. 20, al. 2, 3 et 4).
(2)Loi sur les stupéfiants, art. 365, al. 1.
économiser sur le web?
Plutôt plus chers
Acheter des médicaments en ligne ne garantit pas les économies. Exemples:
• Le Viagra a coûté nettement plus cher sur l’internet (120 fr. les 4 x 25 mg
au lieu de 69,95 fr.). Le
générique, lui, était moins cher (12 x 100 mg pour 170 fr. au lieu de 238,80 fr.).
• Le Valium revenait bien plus cher en ligne, par exemple à 130,05 fr. les
90 x 2 mg, vendus seulement 15,45 fr. en Suisse (5,15 fr. les 30 x 2 mg).
• La phentermine (vendue comme 30 x 30 mg, mais contenant 30 x 15 mg) a coûté 129,35 fr. (4,30 fr./
15 mg), soit beaucoup plus que l’Adipex (à base de phentermine) vendue 79,70 fr. en Suisse (2,65 fr./15 mg).
Rappellons qu’il s’agit en plus d’un psychotrope, interdit d’importation, tout comme le Valium: en cas de saisie (et surtout de récidive)
à la douane, l’acheteur est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 fr.!