Il est bien loin le temps où, pour fluidifier le diesel en hiver, on y ajoutait un peu d’essence. En effet, le bon fonctionnement des moteurs actuels dépend du pouvoir lubrifiant du diesel. En cas de contamination par de l’essence, les risques de dommages peuvent dès lors être importants. La pureté du carburant étant déterminante, nous avons fait analyser des échantillons prélevés chez les plus grands distributeurs ainsi qu’auprès de quelques indépendants (lire encadré).
Le résultat de ces prélèvements, analysés par le laboratoire spécialisé Intertek, à Schlieren (ZH), est pour le moins inquiétant: dans près de 40% des stations visitées, du diesel contaminé a été découvert. Concrètement, cela se remarque par un «point d’éclair» trop bas. Ce point détermine la température à laquelle le carburant dégage assez de vapeurs pour s’enflammer au contact d’une source de chaleur. Le point d’éclair du diesel doit être supérieur à 55° C. Au-dessous, il y a contamination quasi certaine par de l’essence.
Dans le détail, Avia, Agrola, Coop Pronto et Shell font un sans faute (voir résultats par groupes dans les tableaux). L’analyse du point d’éclair étant sujette à une marge de tolérance, les résultats de 53° C et 54° C trouvés chez BP, Tamoil, Esso et Eni (Agip) sont encore à la limite. En revanche, ces deux dernières chaînes ont aussi fourni du diesel clairement non conforme, tout comme Migrol, Miniprix, Jubin et deux stations indépendantes. Dans deux stations du groupe Jubin, le point d’éclair était même inférieur à 30° C.
Risque de dégâts coûteux
Nous avons soumis ces résultats à Jean-Marc Geiser, chef de projets techniques au TCS, dont les commentaires ne rassurent pas: «Selon la conception du système d’injection du moteur, si de l’essence est mélangée au diesel, la rupture du film lubrifiant peut provoquer une usure mécanique, voire un grippage de composants avec de graves conséquences sur le système d’injection et du moteur, pouvant se chiffrer à plusieurs milliers de francs.»
Jean-Marc Geiser rappelle, en outre, que d’autres impuretés sont susceptibles de contaminer le carburant, à commencer par l’eau, mais aussi le sable, les poussières minérales et la rouille, qui peuvent se déposer au fond des citernes. D’où son inquiétude: «Si près de 40% des carburants sont non conformes uniquement sur le point d’éclair, combien d’autres viendraient s’ajouter à la liste si on faisait analyser toutes les impuretés?»
Problème de transport
Interpellés sur ces constats, les distributeurs nous ont fait part de leur étonnement. Il faut, en effet, savoir que toutes les stations s’approvisionnent aux mêmes sources – la Suisse ne comptant que deux raffineries, à Collombey (VS) et à Cressier (NE) – ou importent du carburant déjà transformé, dont la qualité doit être contrôlée.
C’est donc entre les dépôts de pétrole et les stations que la contamination a lieu. Plusieurs causes sont citées: lorsqu’un camion transporte de l’essence, puis du diesel, sans avoir été correctement purgé entre les deux (quelques litres d’essence suffisent à faire baisser considérablement le point d’éclair de plusieurs centaines de litres de diesel), ou encore lors de livraisons par des camions compartimentés, qui permettent de transporter simultanément les deux carburants et dont le tuyau d’écoulement est le même pour l’essence et le diesel.
Chez Jubin Frères, après enquête interne, il a été décidé de ne plus faire transporter les deux carburants dans un même camion à compartiments, afin d’éviter tout risque à l’avenir. Les autres distributeurs mènent aussi leur enquête et promettent de se montrer plus vigilants concernant le transport. De son côté, Eni Suisse, qui affirme ne pas mettre en doute notre enquête, avance toutefois des résultats différents selon ses propres analyses et assure que les moteurs ne sont pas en danger aux points d’éclair cités.
Aucun contrôle obligatoire
Etonnamment, malgré l’importance du marché du pétrole, la Suisse n’impose aucun contrôle de qualité à la pompe. L’Etat se limite à vérifier la conformité des carburants importés sur le plan fiscal, via les douanes, et le respect des normes antipollution définies par l’ordonnance sur la protection de l’air.
Aucun organe officiel ne peut donc se prononcer sur le problème du point d’éclair. Ainsi, la qualité des carburants vendus relève de la seule bonne volonté des distributeurs. On ne peut donc qu’enjoindre ces derniers à prendre leurs responsabilités – y compris lorsqu’ils sous-traitent le transport auprès d’entreprises tierces – en garantissant des produits de parfaite composition jusqu’au bout de la chaîne.
Yves-Alain Cornu
BONUS WEB:
Liste détaillée des stations
Pour télécharger le tableau comparatif des produits, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
Trois stations par groupe
Lors de cette enquête menée en collaboration avec l’émission On en Parle (RSR, La Première), nous avons prélevé trois échantillons par distributeur, dans des stations réparties autour de l’arc lémanique, du Valais à Genève. Onze distributeurs, les plus présents en Suisse romande, ont ainsi été visités. De la même manière, nous avons prélevé du diesel dans trois garages indépendants. Les coordonnées exactes des 36 stations visitées figurent sur notre site internet.
Les prélèvements ont été effectués les 17 et 18 mars (les prix au litre, cités à titre indicatif, varient notamment en fonction de l’emplacement de la station, par exemple sur une aire d’autoroute).
Ecouter l'émission sur le site d'On en Parle