L’annonce alarmante de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) a été abondamment relayée au début du mois de juin et a semé le doute chez les amateurs du condiment jaune. Selon lui, donc, «lorsque les graines de moutarde sont broyées dans un liquide (vinaigre, vin), une réaction enzymatique se déclenche et libère les saveurs caractéristiques. C’est cette réaction qui est à l’origine de la présence de bisphénol F (BPF).» (1)
Un bisphénol peut en cacher d’autres
Le BPF est, comme son cousin le BPA (lire encadré), un monomère entrant dans la composition de nombreux plastiques. Ils entrent également dans celle de résines époxydes employées comme revêtement pour les canettes en alu, les boîtes de conserve et les couvercles de bocaux. Les deux hormones de synthèse sont, en fait, des perturbateurs endocriniens. Ils miment l’action des hormones (les œstrogènes dans le cas des bisphénols) dans l’organisme pour mieux le perturber. Leurs effets toxiques sont visibles à très faibles doses déjà.
Douceur trompeuse?
Découvrir cette substance toxique dans la moutarde a donc de quoi inquiéter. Mais l’étude de l’OSAV ne concerne, en fait, qu’une espèce de plante de moutarde sur les trois cultivées: la Brassica blanche (B. alba). La noire (B. nigra) et la brune (B. juncea) ne libèrent pas de BPF lors du processus de fermentation.
Les graines de Brassica blanche, utilisées pour fabriquer les moutardes douces, contiennent de la sinalbine. Cette substance permet de développer la saveur du condiment. Et c’est elle qui, précisément, libère du BPF dans le produit final. Les graines de moutarde brune et noire ne contiennent pas de sinalbine. On ne détecte donc pas de BPF dans les moutardes fortes et très fortes. Morale de l’histoire: plus ça pique, mieux c’est!
Sans compter qu’il faudrait manger quelque 200 kilos de moutarde douce par jour pour, éventuellement, dépasser le seuil de traces de BPF dans l’organisme. La portion moyenne consommée en Suisse étant de 8 g par personne, on est très loin du risque sanitaire.
Attention, Messieurs!
Pourquoi avoir alarmé la population avec de tels résultats? La dangerosité du BPF n’est pas encore reconnue, mais de nombreuses études tendent à démontrer que le BPF est tout aussi problématique que son cousin, le BPA. La plus récente concernant ce bisphénol a été publiée le 15 janvier dernier dans la revue spécialisée Fertility and Sterility (1). Ses résultats sont limpides: les effets œstrogénique et perturbateur endocrinien des bisphénols F et S sont aussi dangereux pour l’homme que ceux du bisphénol A. Alors, Messieurs, méfiez-vous des moutardes trop douces...
Annick Chevillot
Pour aller plus loin: «Poisons quotidiens – Ils sont partout: les identifier, les décrypter, les éviter», un guide pratique de Bon à Savoir, 37.50 fr. (rabais pour nos abonnés), 144 pp.; commande page 32 ou sur bonasavoir.ch –> Librairie.
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Eclairage
Une grande famille…
Dans la tribu des bisphénols, le A est le plus célèbre. C’est aussi le plus étudié, le plus controversé, le plus réglementé. L’annonce de l’OSAV a mis en lumière le F au début du mois de juin. Mais la famille bisphénol est bien plus grande encore et compte dans ses rangs les A, AF, AP, B, BP, C, CII, E, F, FL, G, M, P, PH, S, TMC, Z. Et, pour brouiller encore un peu plus les pistes, il existe encore des bisphénols A diglycidyléther (dit BADGE) et F diglycidyléther (dit BFDGE).
Vous êtes perdus? C’est normal. La famille bisphénol est vaste et ses raffinements sont à la hauteur de la complexité de la chimie actuelle.
Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), en France: «Toutes ces substances partagent une structure chimique commune qui leur confère des propriétés œstrogéniques, c’est-à-dire similaires aux œstrogènes, des hormones synthétisées notamment par les ovaires. Une attention particulière devrait ainsi être portée lors de l’utilisation des bisphénols S, F, M, B, AP, AF et BADGE. En effet, l’activité œstrogénique, qui est commune à cette famille de composés, pourrait s’avérer néfaste pour le consommateur.»
Et puis, il faut garder à l’esprit que, lorsqu’il est écrit sur un emballage «Sans bisphénol A», cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de bisphénol.
CQFD.